Les bonobos bagarreurs ont plus de succès auprès des femelles Est-ce vraiment ce que dit la recherche ?

« Les bonobos bagarreurs ont plus de succès auprès des femelles ? »

C’est le titre de nouvelles scientifiques produite par l’AFP et reprise dans plusieurs médias. Sa formulation évoque la question socialement vive des rapports de genre et accroche l’attention du lecteur. Correspond-il vraiment à ce que discute la publication de Mouginot,& al. (2024) ?
JTS (Jump-To-Science) a pour vocation d’encourager le lecteur à se référer à l’article d’origine.
On sait combien diverses pressions font que la vulgarisation transforme les savoirs et fait perdre leur nature scientifique à ceux produits par la recherche.  Suite à la remarque de Céline Brockmann, « Ce titre vulgarisé est carrément trompeur – l’étude ne permet pas de dire que nécessairement  les femelles préfèrent les plus agressifs; elle dit juste qu’ils se reproduisent plus. » JTS explore un peu les transformations que les savoirs ont subi dans cette vulgarisation. Pour le faire, JTS compare le texte d’origine Mouginot,& al. (2024 au texte repris de l’AFP (dans la tribune de Genève et la RTS) qui discute cette même étude dans CQFD et interviewe l’autrice principale.
En conclusion JTS encourage le lecteur à aider les élèves à aller vérifier dans l’article d’origine :  ici

Comment le titre d’origine est sensationnalisé dans la vulgarisation

Titre de l’article d’origine Mouginot,& al. (2024) Differences in expression of male aggression between wild bonobos and chimpanzees. Cf. extraits plus bas

Titre de la Tribune de Genève (repris d’AFP) Les bonobos bagarreurs ont plus de succès auprès des femelles.

Titre de CQFD à la RTS : Les bonobos bagarreurs ont plus de succès auprès des femelles.

L’interprétation sensationnaliste et le propos nuancé de la chercheure

https://www.rts.ch/play/radio/redirect/detail/14808901 « Les bonobos bagarreurs ont plus de succès auprès des femelles. Dans la recherche sur les primates, on entend souvent que les bonobos sont les « hippies » des grands singes, quʹils sont plus « peace and love » quʹagressifs, contrairement à leurs proches cousins les chimpanzés qui sont, eux, dépeints comme violents. Une étude, parue dans Current Biology (12.04.24) vient pourtant casser cette image: les bonobos mâles sont en fait plus souvent agressifs entre eux que les chimpanzés. Une démonstration de force qui ne laisse dʹailleurs pas les femelles bonobos indifférentes.  » Maud Mouginot, anthropologue et principale autrice de cette étude, nous explique sa recherche au micro dʹAnne Baecher. 11 min.

Dans CQFD à la RTS  l’interview  de l’autrice principale nuance la préférence des bonobos femelle pour les badass que la journaliste suggérait.

À partir de la minute 6:35, suite à la question Maud Mouginot – autrice principale de l’article – revient sur la suggestion de la journaliste que les femelles bonobos préfèrent les « mauvais garçons ».  

 Vers la minute 8:25 elle conclut en rigolant que les femelles n’aiment peut-être pas n’importe quels mauvais garçons. Elle note que ces mâles plus agressifs contre les autres mâles mais pas contre les femelles, repoussent les autres mâles des femelles, et passent plus de temps à s’occuper des femelles. Les femelles bonobo préfèrent dit-elle en rigolant – plutôt les gentleman. « Gentleman mauvais garçon » complète la journaliste. encourage le lecteur à aller vérifier dans l’audio d’origine :   ici

Ça ne serait pas forcément qu’ils sont plus agressif mais pourrait être le fait qu’il s’occupent plus des femelles ? 

Sur le plan méthodologique, on a un cas intéressant : comme le disait Céline Brockmann, l’étude ne permet pas de dire que nécessairement  les femelles préfèrent les + agressifs; elle dit juste qu’ils se reproduisent plus. 

Les données indiquent que les mâles qui sont plus bagarreurs sont aussi des mâles qui obtiennent plus de copulations et plus de descendants. Sans que ce soit dit, cette corrélation entre l’agressivité des mâles et leur succès reproductif est souvent interprétée comme une causalité. Cependant dans l’interview, Maud Mouginot  mentionne une autre étude montrant que ces mâles passent plus de temps à s’occuper des femelles. Ainsi on ne peut guère affirmer lequel des deux (plus d’agression, s’occuper plus des femelles , …) est la cause de ce succès reproductif accru, ou même si les deux résultent d’une autre cause (elles préfèrent ces mâles capables d’éloigner les autres ? etc) . 

La recherche testait en fait l’hypothèse d’auto-domestication

Une explication de la différence Bonobos-chimpanzés et que cet article cherche à tester, serait que les Bonobos ont évolué par auto-domestication (domestication ~ sélection contre l’agression dit Maud Mouginot dans CQFD).  Elle rappelle que selon cette hypothèse il devrait y avoir  chez les bonobos par rapport aux chimpanzés :  a) moins d’agression, b) moins de coercition (copulation forcées), c) moins de meurtres et infanticides  d) les mâles agressifs n’obtiendraient pas plus de descendants.

La chercheure explique leurs travaux ne confirment pas cette explication : les deux hypothèses qu’ils ont testées ne sont pas confirmées a) il n’y a pas moins, mais plus d’agression (que les chimpanzés) et  d) les plus agressifs ont quand même plus de descendants. encourage le lecteur à aller vérifier dans l’article d’origine :   ici

L’article indique dans la discussion « Taken together, our findings provide a more nuanced understanding of male aggression patterns in the genus Pan, which relates to potential costs and benefits of different types of male aggression.  » et suggère qu’il faudrait explorer la différence entre « planned and goal-oriented behavior, that potentially includes killings within and between groups in chimpanzees, and reactive aggression which serves to quickly eliminate a threat or frustrating stimulus, and potentially includes the majority of within-group aggression. Future studies distinguishing the two types of aggression will improve our understanding of their potential interplay during human evolution.  » encourage le lecteur à aller vérifier dans l’article d’origine :   ici
Le débat scientifique est donc relancé par ces données, et on peut s’attendre à de nouvelles études qui avancent notre compréhension.

Cette transformation des savoirs dans la vulgarisation n’est-elle pas inévitable ?
Comment aider les élèves à en prendre conscience et

On voit dans cet exemple – comme la transposition didactique (Chevallard, 1991) et la vulgarisation (Green Staerklé et Clémence, 2002) le prédisent – qu’on perd le contexte (les controverses scientifiques et sociales) dans lequel la recherche se situe, on perd les méthodes et on se concentre sur une conclusion présentée comme définitive et formulée de manière sensationnaliste. Comparaison détaillée et pertinence à l’enseignement des sciences dans Lombard & Weiss (2018) qui proposent d’aider les élèves à comprendre la complexité plutôt que de leur simplifier en classe un monde qui ne l’est pas. 

Au lieu de nous apprendre le passé simple l’école ferait mieux de nous apprendre le futur complexe 

Graffiti sur un mur près d’une école à Genève

Extraits (traduits) de l’article d’origine Mouginot & al. (2024)  

Points forts

     • Les bonobos Kokolopori présentent des taux d’agressivité mâle-mâle plus élevés que les chimpanzés de Gombe.

     •Ces résultats restent vrais en limitant les analyses à l’agression de contact

     •Dans les deux populations, les mâles les plus agressifs ont obtenu un succès d’accouplement plus élevé.

     •Les chimpanzés mâles forment plus de coalitions que les bonobos mâles » Traduction automatique retouchée de Mouginot & al. (2024) 

Résumé

« Les chercheurs qui étudient l’évolution de l’agression humaine considèrent nos plus proches parents vivants, les bonobos (Pan paniscus) et les chimpanzés (Pan troglodytes), comme de précieuses sources de données comparatives. Les mâles des deux espèces présentent des schémas contrastés : les chimpanzés mâles contraignent sexuellement les femelles et tuent parfois leurs congénères, tandis que les bonobos mâles présentent moins de coercition sexuelle et aucun meurtre n’est signalé. Parmi les diverses tentatives pour expliquer ces différences entre espèces, l’hypothèse de l’autodomestication propose des conséquences négatives sur le succès reproductif (fitness) de l’agression des mâles chez les bonobos. Néanmoins, la mesure dans laquelle ces espèces diffèrent en termes de taux d’agression globaux reste floue en raison de méthodes d’observation insuffisamment comparables. Nous avons utilisé 14 années de données de suivi focal – la référence en matière d’études observationnelles – pour comparer les taux d’agression des mâles dans 3 communautés de bonobos de la réserve de bonobos de Kokolopori, en République démocratique du Congo, et dans 2 communautés de chimpanzés du parc national de Gombe, en Tanzanie. Comme prévu, étant donné que les femelles bonobos dominent généralement les mâles, nous avons trouvlé des taux d’agressivité mâle-femelle plus faibles et des taux d’agressivité femelle-mâle plus élevés que chez les chimpanzés. Étonnamment, nous avons trouvé des taux d’agressivité mâle-mâle plus élevés chez les bonobos que chez les chimpanzés, même en limitant les analyses à l’agression par contact. Chez les deux espèces, les mâles les plus agressifs ont obtenu un taux d’accouplement plus élevé. Bien que nos résultats indiquent que la différence de fréquence de l’agression mâle-mâle entre les espèces ne correspond pas à la différence d’intensité de cette agression, ils confortent l’idée selon laquelle les bonobos mâles ont des stratégies de reproduction plus individualistes, contrairement aux chimpanzés mâles, dont le succès reproducteur dépend de fortes coalitions. » Traduction automatique retouchée de Mouginot & al. (2024)  encourage le lecteur à aller vérifier dans l’article d’origine :   ici


(Les membres Jump-To-Science peuvent obtenir ces articles).

Références

  • Chevallard, Y. (1991). La transposition didactique. Du savoir savant au savoir enseigné (2e éd. revue et augmentée, 1985 lre). La Pensée sauvage.
  • Green Staerklé, E., & Clémence, A. (2002). De l’affiliation des souris de laboratoire au gène de la fidélité dans la vie : Un exemple de transformation du savoir scientifique dans le sens commun. In C. Garnier & W. Doise (Éds.), Représentations sociales. Balisage du domaine d’études. Montréal : Éditions nouvelles, pp. 147—155, 2002. (p. 147‑155).
  • Mouginot, M., Wilson, M. L., Desai, N., & Surbeck, M. (2024). Differences in expression of male aggression between wild bonobos and chimpanzees. Current Biology, 0(0). https://doi.org/10.1016/j.cub.2024.02.071
  • Lombard, F., & Weiss, L. (2018). Can Didactic Transposition and Popularization Explain Transformations of Genetic Knowledge from Research to Classroom? Science & Education. https://doi.org/10.1007/s11191-018-9977-8
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