La nature est-elle vraiment bien faite ?
Il n’est pas possible de comprendre le corps humain sans le penser dans l’évolution.
Dans ce corps que nous avons longtemps jugé parfait, il existe des agencements étranges qui ne s’expliquent que par l’histoire évolutive des vertébrés. Des agencements qui sont responsables de morts à chaque génération.
De plus, le principe de sélection naturelle et le principe généalogique, les deux piliers de l’évolution, sont entrés au sein même du corps humain. Nos cellules par exemple sont engagées dans un compromis entre coopération et compétition, deux dynamiques qui sont le fruit de la sélection naturelle. Cela a récemment révolutionné les thérapies contre le cancer.
Pour nous présenter ces concepts et nous faire réfléchir à notre corps dans l’évolution, nous avons le plaisir d’accueillir le professeur Guillaume Lecointre, zoologiste et systématicien au Muséum national d’histoire naturelle de Paris qui donnera une conférence en ligne intitulée:
La nature est-elle bien faite?
Notre corps et l’évolution
Mardi 25 mai 2021, 18h30 | En ligne
Cette conférence est organisée dans le cadre de l’exposition «Le grand bazar de l’évolution» qui se tiendra du 20 mai au 17 octobre 2021 aux Conservatoire et Jardin botaniques de Genève.
Introduction à la conférence
Cela n’est pas toujours enseigné dans les écoles, et pourtant: il n’est pas possible de comprendre le corps humain sans le penser dans l’évolution.
D’abord, parce que dans ce corps que nous avons longtemps jugé parfait, il existe des agencements étranges qui ne s’expliquent que par l’histoire évolutive des vertébrés (par exemple la forme de notre aorte). Des agencements qui sont responsables de morts à chaque génération. La «nature» n’est pas si bien faite que cela…
Ensuite, parce que depuis le début de ce siècle, le principe de sélection naturelle et le principe généalogique, les deux piliers de l’évolution, sont entrés au sein même du corps humain. On sait maintenant reconstituer la filiation de nos cellules, à tel point qu’un développement embryonnaire peut se penser comme une généalogie cellulaire. De plus ces cellules sont engagées dans un compromis entre coopération et compétition, deux dynamiques qui sont le fruit de la sélection naturelle. Cela a récemment révolutionné les thérapies contre le cancer.
Guillaume Lecointre est enseignant-chercheur et professeur du Muséum national d’histoire naturelle de Paris où il occupe les fonctions de conseiller scientifique du président. Il est double lauréat de la Société Zoologique de France (1996, 2006), Prix national 2009 du Comité Laïcité République et fait chevalier de la Légion d’honneur en 2016.
G. Lecointre a sélectionné pour JTS quelques publications :
- Lecointre, G. (2012)Guide critique de l’évolution. Seconde édition, Belin, 670 p. Novembre 2021.https://www.belin-education.com/guide-critique-de-levolution-2e-edition
- Lecointre, G. (2015)Descendons-nous de Darwin ? Le Pommier, 2015. 118 p. https://www.editions-lepommier.fr/descendons-nous-de-darwin
- Lecointre, G. (2012). Les sciences face aux créationnismes : Ré-expliciter le contrat méthodologique des chercheurs. Quae. pdf
- Lecointre, G. (2008). Les dangers du créationnisme dans l’éducation. Diplomatie, 30. https://www.jstor.org/stable/26981026
L’enseignement de la physiologie et l’anatomie : en termes évolutifs ou implicitement créationniste ?
On emploie souvent dans l’école des explications de ce genre :
- Le tube digestif des herbivores est plus long pour digérer l’herbe, notamment la cellulose.
- Notre corps crée des anticorps (Ac) contre SARS-Cov2 parce que nous en avons besoin pour lutter contre la maladie.
Même parfois dans des documents d’enseignement, nous ne citerons pas…
Le finalisme est bien une forme de causalité, argumenteront les philosophes (Kampourakis, 2020), et la psychologie humaine interprète spontanément les actions d’autrui (et des organismes) en fonction d’intentions supposées (Aronson, et al. 2013), ce qui aggrave les conflits (Rosenberg, M.,2015), …
Tout cela fait du sens, mais en biologie, ce n’est pas le besoin qui crée la fonction, et le paradigme explicatif de la biologie, fondé sur des explications causales objectives et moléculaires, conduit à des explications bien plus puissantes qui ont permis – par exemple de comprendre l’immunologie et produire des vaccins très efficaces très rapidement…
Ainsi la création d’anticorps (Ac) efficaces contre le pathogène s’explique en biologie par un processus de sélection clonale (Burnet, S., 1959) où parmi une quasi infinité de cellules produisant chacune des Ac différents, ceux qui réagissent contre des antigènes du pathogène s’activent et deviennent des cellules produisant de grandes quantités d’Ac. Ainsi s’ouvre tout un champ d’explications.
Des recherches ont confirmé la difficulté dans la progression des étudiants que représente ce concept crucial (Lombard & Schneider, 2013).
La phrase célèbre de Dobzhansky, T. (1973) le résume bien « rien n’a de sens en biologie si ce n’est à la lumière de l’évolution » Trad.
Trop compliqué ?
On me dira que la formulation finaliste est tellement plus simple – elle correspond à la psychologie humaine. Mais l’utiliser en classe renforce l’idée qu’une intention, « dame nature » ou une divinité ont déterminé l’anatomie et la physiologie,…
Comment remplacer des explications finalistes vers des réponse qui ouvrent la porte à la puissance explicative de la biologie.
Est-il si difficile de tenter l’utilisation régulière de formulations comme :
- Ceux qui avaient un tube plus long ont-ils eu plus de descendants ?
- Les vaches actuelles sont-elles les descendantes de celles qui ont un tube plus long ou plus court ?
Est-ce que ça peut marcher dans d’autres chapitres de la biologie ?
Kalinowski, et al. (2013) décrivent plusieurs activités illustrant comment la sélection naturelle opère dans divers domaines : sélection sexuelle, évolution moléculaire, évolution de caractères complexes,évolution du comportement. » Pre- and post-instruction testing showed students’ understanding of natural selection increased substantially after completing this series of learning activities. Testing throughout this unit showed steadily increasing student understanding, and surveys indicated students enjoyed the activities. »
Jump-To-Science encourage le lecteur à aller vérifier dans l’article d’origine : ici
Références:
- Aronson, E., Wilson, T. D., & Akert, R. M. (2013). Social psychology (8th ed). Pearson. Ch 6 -The Need to Justify Our Actions The Costs and Benefits of Dissonance Reduction
- Burnet, S. F. M. (1959). The clonal selection theory of acquired immunity (Vol. 3). Vanderbilt University Press Nashville.
- Dobzhansky, T. (1973). Nothing in biology makes sense except in the light of evolution. American Biology Teacher, 35(3), 125‑129
- Kalinowski, S. T., Leonard, M. J., Andrews, T. M., & Litt, A. R. (2013). Six Classroom Exercises to Teach Natural Selection to Undergraduate Biology Students. Cell Biology Education, 12(3), 483‑493. https://doi.org/10.1187/cbe-12-06-0070
- Kampourakis, K. (2020). Students’ « teleological misconceptions » in evolution education : Why the underlying design stance, not teleology per se, is the problem. Evolution: Education and Outreach, 13(1). https://doi.org/10.1186/s12052-019-0116-z
- Lecointre, G. (2012). L’adaptation et ses alternatives. In L’homme peut-il s’adapter à lui-même ? (p. 60‑65). Éditions Quæ. https://www.cairn.info/l-homme-peut-il-s-adapter-a-lui-meme–9782759218608-page-60.htm
- Lombard, F. E., & Schneider, D. K. (2013). Good student questions in inquiry learning. Journal of Biological Education, 47(3), 166‑174. https://doi.org/10.1080/00219266.2013.821749
- Rosenberg, M. B. (2015). Les mots sont des fenêtres (ou des murs) : Introduction à la communication non violente.