Comment les moustiques nous détectent, les répulsifs efficaces et l'"utilité" des moustiques …

L’efficacité et les mécanismes d’action des « répulsifs » à moustiques.

Les moustiques nous détectent par une succession de stimuli : le  CO2 pulsé et la chaleur puis des odeurs émises par la peau, pas encore toutes identifiées mais comprenant l’acide l-lactique. Le DEET (N,N-dimethyl-m-toluamide) est le composant actif (entre 1% et 98%) de la plupart des « répulsifs ». Il agirait doublement en rendant les récepteurs olfactifs des antennes insensibles (une sorte de brouillage) et – du moins chez la drosophile- en activant des neurones du dégoût (Ditzen, et al., 2008, Lee, et al., 2010).
Des tests sur l’efficacité de nombreux produits avec DEET et alternatifs par Rodriguez, S. D.,et al. (2017) concluent que le DEET est le plus efficace de loin. Malgré son odeur désagréable et son effet sur les plastiques, les millions d’utilisateurs – qu’il a protégé de maladies graves depuis des décennies (Swale, D. R., & Bloomquist, J. R. 2019) n’ont pas mis en évidence de problèmes sérieux.
Les dispositifs à ultrasons testés n’ont pas d’effet. Les bougies à la citronnelle et les mélanges d’essences de plantes testés sont d’une odeur bien plus agréables, mais… ne déplaisent guère aux moustiques ! Seul le PMD, extrait d’huile d’Eucalyptus citronné semble avoir une certaine efficacité (Rodriguez, S. D.,et al., 2017).
L’apparition de d’insensibilité génétiquement transmise au DEET (Warren, 2010) ne surprendra pas eux qui savent utiliser les modèles de l’évolution. Cela fournit un bon exercice pour les élèves : expliquer comment les mutations et  la sélection naturelle permettaient de prédire cette résistance.
Un débat sur l’utilité des moustiques (Fang, J., 2010) ici – et l’implicite créationniste de la question posée en ces termes – termine cette publication Jump-To-Science. Cette approche tremplin vers les science qui se construit vous encourage à savourer le plaisir d’aller lire les articles d’origine. Comment  Obtenir un article mentionné

Les moustiques nous détectent à l’odeur, à la chaleur, et au CO2

Il nous détectent par le CO2 Pulsé ( cf. Bio-Tremplins  La malaria, la piste du CO2 pulsé)  Turner, S. L. et al. (2011)


Fig 1 : Les neurones cpA sont surtout sensibles aux variations du CO2. [img]Source : Stopfer, M. (2011).
Ils sont attirés par le CO2, la chaleur aussi (on les voit parfois tourner autour d’une théière, d’une casserole etc), puis des odeurs émises par la transpiration.

Attirés vers la tête du dormeur …

Les moustiques s’approchent plutôt de la tête, comme le montre une belle vidéo de  (Angarita-Jaimes N. C.,et al. 2016) qui ont  monitoré par vidéo très finement le déplacement individuel de moustiques.

Figure 11.
Fig 2 : Déplacement des moustiques (Culex quinquefasciatus) autour d’un dormeur dans une moustiquaire [img]Source :  J. R. Soc. Interface/CC by 4.0

Quelles molécules de la peau attirent les moustiques ?

La liste est peut-être longue et ne semble pas encore clairement établie, d’autant plus qu’elle pourrait dépendre des espèces de moustiques mais Dogan, et al., 1999 mentionnent l’acide l‐lactique comme principal. Cependant une étude (Syed, Z., & Leal, W. S., 2009) qui a récolté les odorants de la peau (cf. fig. 3) de diverses populations pour en tester l’effet sur les antennes de moustiques montre que le nonanal produit une réponse particulièrement forte. Les auteurs notent que ce nonanal est aussi produit par les oiseaux ce qui expliquerait le passage du  West Nile Virus d’oiseaux à l’humain via ce moustique.
Ils notent aussi la synergie entre le Nonanal et le CO2 :

Nonanal is detected by a large array of sensilla and is by far the most potent stimulus; thus, supporting the assumption that Culex quinquefasciatus can smell humans and birds. Nonanal and CO2 synergize, thus, leading to significantly higher catches of Culex mosquitoes in traps baited with binary than in those with individual lures

Fig 3 :Capture des odeurs émises par la peau [img]Source : Syed Z and W. S. Leal, PNAS Early Edition (2009); (mosquito inset) USGS

Pas vraiment répulsif, mais masquant olfactif, le DEET ?

cf. Bio-Tremplins (ici)  Une recherche (Ditzen, et al., 2008). rapportée par Petherick, A. (2008). (ici) avait révélé que le plus classique des « répulsifs » le DEET (N,N-dimethyl-m-toluamide) ne fait pas fuir, mais agit plutôt comme inhibiteur de l’attraction (il agit en désactivant la détection des odorants humains que le moustique utilise – en bloquant le récepteur du gène Or83b

En somme, le DEET brouillerait la détection des molécules émises par la peau humain, notamment  le 1-octen-3-ol utilisé dans cette étude.

« DEET interferes with a molecular complex in mosquitoes that normally responds to 1-octen-3-ol, a chemical that people sweat and exhale. This interference means that a mosquito encountering DEET loses interest in a juicy human target. »Petherick, A. (2008)

En allant un peu plus loin, mais chez la drosophile,  Lee, et al (2010)  montrent que le DEET agit doublement : en réduisant l’appétit en activant les mêmes neurones (GRN) que les substances « dégoutantes »  (« DEET was potent in suppressing feeding as <0.1% DEET elicited aversive behavior« ) en plus de son effet sur les récepteurs olfactifs.

Inoffensif ?

L’efficacité du DEET a son revers : c’est un solvant qui attaque de nombreux plastiques, il a une odeur désagréable et s’évapore assez vite par temps chaud :

« DEET is a very effective mosquito repellent and, despite its material-destroying capabilities, is safe for use on skin. But it can be an irritant and is a strong solvent, so it should not be used near a tent, synthetic clothes or near an open wound. This makes it less convenient than more-natural but less-effective repellents, such as citronella. » Petherick, A. (2008)

Il semble être essentiellement inoffensif, malgré tout :

« The compound is used hundreds of millions of times worldwide each year, with only about 50 known reports of severe dermatitis or seizures since it came into use—problems usually attributed to gross overuse, if they can be clearly connected to the product at all. » Krajick, K. (2006).

Cette absence d’effets nocifs est confirmé par un article récent ici (Swale, D. R., & Bloomquist, J. R. 2019) qui souligne les risques de transmissions de maladies que le DEET a permis d’éviter.

Si la plupart des gens finissent par se résoudre à utiliser le DEET là ou les moustiques sont un problème sérieux, certains se tournent vers des produits perçus comme plus anodins. Quelle est alors l’efficacité des produits dits « naturels » dont la citronnelle ?

Comparaison de l’efficacité des répulsifs présumés

Ce qui est efficace pour éviter ces moustiques a été étudié par Rodriguez, S. D.,et al. (2017) avec une sorte de tunnel (cf. fig. 4) où un humain à été placé dans un courant d’air dirigé ensuite vers des moustiques.


Fig 4 :une soufflerie (wind tunnel) produisant un léger courant d’air( ~7 km/h)  depuis le volontaire vers une cage (taxi-cage) ou sont disposés des moustiques permet de mesurer s’îls s’éloignent ou se rapprochent du volontaire [img]Source : Rodriguez, S. D.,et al. (2017)
Ils ont testé 12 produits ou appareils. La plupart n’ont pas tenu les promesses de leurs étiquettes. À une distance d’un mètre, seuls les spray au DEET et l’huile d’Eucalyptus citronné Corymbia citriodora (substance active : p-menthane-3,8-diol [PMD])  réduisaient d’au moins 60% l’attractivité pour les moustiques Aedes egypti Cf. tableau 1. Le seul appareil portable qui a fonctionné était  OFF! un ventilateur à clip diffusant  l’insecticide métofluthrine. Les chercheurs ont rapporté dans le Journal of Insect Science que le reste des produits avait un faible effet répulsif ou ne valait pas mieux que pas de protection du tout.
Les auteurs de cette étude sont particulièrement critiques de deux dispositifs: des bracelets contenant des extraits d’herbes et des appareils produisant un son haute fréquence éloignant prétendûment les moustiques. La bougie à la citronnelle a même augmenté un peu l’attractivité de l’humain. Cf notamment le tableau 2 Rodriguez, S. D.,et al. (2017)

Treatments (N = 4) Taux d’attraction (±SE)
plus la  valeur est faible plus le produit est répulsif
Positive control (humain sans protection) 91.25% (±1.24%)
Negative control (pas d’humain) 13.18% (±2.97%)***
OFF! Clip-on  (ventilateur et p-menthane-3,8-diol) 46.89% (±2.99%)***
Cutter Lemon Eucalyptus (Huile d’eucalyptus citroné) 51.64% (±4.70%)***
Ben’s Tick & Insect Repellent (98% DEET) 23.46% (±4.42%)***
Kids Herbal Armor (mélange de plantes) 73.31% (±0.71%)***

Tableau 1. Attraction moyenne pour le moustique Ae. aegypti à 3 m dans le dispositif de mesure .  Seuls les produits ayant une efficacité notable sont présentés. P Values: P < 0.05*; P < 0.01**; P < 0.001***; not significant (ns); N, number of replicates. D’après la table 3 de Rodriguez, S. D.,et al. (2017)

Des insectes résistants apparaissent … évidemment !

Comme les modèles des mécanismes de l’évolution le prévoient, des insectes résistants au DEET (insensibles à son effet insensibilisant faudrait-il dire…) commencent à apparaître (Weaver, J. 2010) et cette résistance se transmet aux descendants. 🙁
Joli exemple à discuter en classe ?

De nouvelles molécules bientôt ?

Krajick, K. (2006) fait le point sur les molécules qui pourraient prendre le relais,… et il n’y a pas de très clair candidat qui sorte du lot. Selon quelle espèce de moustique et quel critère on prend on trouve d’autres candidats, comme le para-menthane-3,8-diol (PMD), connu sous le nom d’huile d’eucalyptus citroné et la Picaridine, un dérivé synthétique du poivre vendu sous le nom de  Cutter Advanced, et l’ IR3535, un dérivé d’acide aminé (β-alanine) vendu sous le nom de Skin-So-Soft. L’article de Krajick, K. (2006) donne bien plus de précisions cf. ici

Les tests se font parfois avec des volontaires qui acceptent de mettre le bras dans des cages remplies de moustiques affamées. Courageux !


Fig 5 :Des bras de volontaires permettent de tester le pouvoir répulsif de divers traitements [img]Source : Krajick, K. (2006) ARS/USDA ».

Le tunnel employé par Rodriguez (2017) parait plus sûr, évitant la possible contamination par agents pathogènes nouveaux que les moustiques porteraient.

Les différences d’attractivité entre personnes ?

Je n ‘ai pas trouvé grand chose sur cette question qui trouble tous ceux qui rentrent d’une soirée au bord du lac couverts de piqûres alors que leur conjoint sourit d’un air narquois et n’a rien subi.  Selont Krajick, K. (2006) c’est probablement une question de proportion des molécules dans le cocktail émis par la peau qui diffère : « Everyone sweats out the same chemicals, but the concentrations and proportions may vary widely among individuals—possibly the key to why bugs eat some folks alive but leave others alone. » Il y a bien un prix nobel à faire pour nos élèves ? Au moins un prix IgNobel…

A quoi servent les moustiques ?

C’est une question qui revient souvent. La question sous-entend que les espèces existent parce qu’elles auraient un rôle, qu’une force supérieure détermine ce qui doit être là … pour être utile.  En répondant on glisse subrepticement vers le créationnisme, un modèle qui ne permet pas bien d’expliquer ce qu’on constate ni de prédire ce qui va se passer (on pense aux résistances aux antibiotiques, p.ex) …
Ce que je comprends des mécanismes de l’évolution me fait penser que la question devrait plutôt être posée ainsi: si une telle espèce apparaissait un jour, pourrait-elle se reproduire… et la réponse est alors manifestement oui !
Il y a un article sur les effets de la disparition des moustiques :  Fang, J. (2010). ici … et un vaste débat après l’opportunité d’éliminer les moustiques… De belles pistes pour des débats en classe

Sources

  • Angarita-Jaimes N. C., Parker J. E. A., Abe M., Mashauri F., Martine J., Towers C. E., … Towers D. P. (2016). A novel video-tracking system to quantify the behaviour of nocturnal mosquitoes attacking human hosts in the field. Journal of The Royal Society Interface, 13(117), 20150974. https://doi.org/10.1098/rsif.2015.0974
  • Ditzen, M., Pellegrino, M. & Vosshall, L. B. Science doi:10.1126/science.1153121 (2008).
  • Dogan, E. B., Ayres, J. W., & Rossignol, P. A. (1999). Behavioural mode of action of deet : Inhibition of lactic acid attraction. Medical and Veterinary Entomology, 13(1), 97‑100. https://doi.org/10.1046/j.1365-2915.1999.00145.x
  • Fang, J. (2010). Ecology : A world without mosquitoes. Nature, 466(7305), 432‑434. https://doi.org/10.1038/466432a
  • Lee, Y., Kim, S. H., & Montell, C. (2010). Avoiding DEET through Insect Gustatory Receptors. Neuron, 67(4), 555‑561. https://doi.org/10.1016/j.neuron.2010.07.006
  • Krajick, K. (2006). Keeping the Bugs at Bay. Science, 313(5783), 36‑38. https://doi.org/10.1126/science.313.5783.36
  • Rodriguez, S. D., Chung, H.-N., Gonzales, K. K., Vulcan, J., Li, Y., Ahumada, J. A., … Hansen, I. A. (2017). Efficacy of Some Wearable Devices Compared with Spray-On Insect Repellents for the Yellow Fever Mosquito, Aedes aegypti (L.) (Diptera : Culicidae). Journal of Insect Science, 17(1). https://doi.org/10.1093/jisesa/iew117
  • Swale, D. R., & Bloomquist, J. R. (2019). Is DEET a dangerous neurotoxicant? Pest Management Science, 75(8), 2068‑2070. https://doi.org/10.1002/ps.5476
  • Stanczyk, N. M., Brookfield, J. F. Y., Ignell, R., Logan, J. G., & Field, L. M. (2010). Behavioral insensitivity to DEET in Aedes aegypti is a genetically determined trait residing in changes in sensillum function. Proceedings of the National Academy of Sciences, 107(19), 8575‑8580. https://doi.org/10.1073/pnas.1001313107
  • Syed, Z., & Leal, W. S. (2009). Acute olfactory response of Culex mosquitoes to a human- and bird-derived attractant. Proceedings of the National Academy of Sciences, pnas.0906932106. https://doi.org/10.1073/pnas.0906932106
  • Weaver, J. (2010). Mosquitoes inherit DEET resistance. Nature. https://doi.org/10.1038/news.2010.216
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