Au coeur de l'expérience, le récit d'une classe de 4e OC

Par Bertrand Emery, Dr en Biologie, Enseignant au collège Calvin

Dans le cadre du cours de 4ème option complémentaire de Biologie (cursus gymnasial), nous étudions les tests génétiques sous un aspect plus humain (phénomène de société, bioéthique, économique) que technique. Après avoir abordé les tests génétiques en libre accès sur internet (p.ex 23andMe qui teste de très nombreux snips) et les avoir critiqué (Forkstuen S. 2009, Ducournau 2011, Jordan 2011), nous avons abordé le « projet génographique » (The Genographic Project) du National Geographic. Les élèves ont été invités à découvrir par eux-mêmes ce projet, via son site internet (Genographic Project). C’est dans ce contexte que l’expérience réalisée au CMU avec P. Descombes a été présentée, puisque le locus séquencé est le même (un peu plus petit pour nous que dans le projet génographique). En effet, le projet génographique vous propose (contre paiement) de séquencer un petit bout de votre ADN mitochondrial (voir ADN mitochondrial, une petite molécule devenue star) ou de votre chromosome Y, et de vous raconter l’histoire de vos ancêtres.

Le 29 mars dernier, cette classe s’est retrouvée au CMU avec F. Lombard et P. Descombes, pour assister à une petite présentation, puis procéder (après consentement éclairé) au prélèvement de leur ADN. La présentation plutôt technique a complété leurs connaissances (voir résultats du questionnaire). Suite à cela, F. Lombard leur a rappelé que cette expérience était organisée dans le cadre d’expériment@l et le principe du consentement éclairé. Après signatures des formules de consentement, nous avons procédé au prélèvement d’ADN (voir ->Comment on a séquencé). Pour terminer, les élèves ont eu l’opportunité de poser toutes leurs questions et d’en obtenir des réponses.

La semaine suivante, les élèves ont rempli un questionnaire anonyme (voir résultats du questionnaire), avant toute autre discussion. Nous avons ensuite observé le gel d’électrophorèse des PCR  puis avons discuté les résultats de l’expérience menée 2 ans auparavant, lors de la visite des collégiens à l’UniGe (Journée des collégiens) puisque les données du séquençage n’étaient pas encore disponibles. Après discussion des résultats que l’on pouvait obtenir, nous sommes revenu au projet génographique. Les élèves ont lu la critique de Darlu (Darlu 2008) avant d’en discuter collectivement, en mettant l’accent sur les enjeux éthiques, sociaux et économique.

Le bilan global a été très positif. Les élèves ont beaucoup apprécié la sortie et le sujet. Pour la plupart d’entre eux (11 sur 14), ils auraient participé à l’expérience même sans anonymisation, pourtant ils reconnaissent tous que celle-ci était nécessaire. S’ils (13 sur 14) admettent que participer à l’expérience est plus intéressant que de simplement l’étudier de l’extérieur, ils sont plus réservés sur l’influence que cela a eu sur leur opinion des tests génétiques. Une moitié d’entre eux aurait préféré que l’on séquence une région codante.

En conclusions, l’expérience a été très concluante. Les élèves ont apprécié le décloisonnement tant matériel (sortir de la classe) qu’intellectuel (changer d’interlocuteur) et reconnaissent qu’analyser ses propres données est plus intéressant que de simplement les voir.

Les objectifs d’apprentissages de cette activité et dans le cadre du cours, sont :
Projet génographie et séquençage de votre ADN.

– Définir la PCR et le séquençage d’ADN, ainsi que l’ADN mitochondrial et le chromosome Y. Identifier les particularités de transmission héréditaire de l’ADNmt (lignée maternelle uniquement) et du chromosome Y (lignée paternelle uniquement). Par extension, expliquer pourquoi ce sont de bons candidats pour retracer l’histoire des migrations humaines (pas de recombinaison génétique).

– Identifier différentes raisons de séquençage d’une partie non-codante (~non-fonctionnelle) par rapport à une partie codante (~fonctionnelle). (-> découverte inopinée non souhaitée, liberté totale des mutations). Identifier également les limites d’un séquençage partiel par rapport à un séquençage total.

– Décrire et critiquer « le projet génographie » du National Geographic. Comparer ce projet à celui auquel vous avez participé (séquençage anonyme, sans but lucratif, etc.), selon différentes considérations (économiques, éthiques, politiques, scientifiques, etc.)

– Intégrer/discuter les aspects/enjeux économiques et éthiques de tout projet scientifique. En particulier, estimer l’actuel coût temporel et financier d’un séquençage. Par extension, apprécier le caractère évolutif des méthodes de séquençage et des banques de données et prédire leurs possibles utilisations futures.

– Acquérir un regard critique sur des projets scientifiques ou se cachant derrière une « identité » scientifique.

Bibliographie :

  • Darlu P (2008). Comment « National Geographic » vend le rêve des origines. Le Monde diplomatique, Juin 2008 :20-21. Vers l’article.
  • Ducournau P. et al., Tests génétiques en accès libre sur Internet. Médecine/Scences (Paris). 2011 Jan; 27(1):95-102 – Vers le résumé reservé-membres.pdf|
  • Forkstuen S., Heinimann K, Tests génétiques sur internet.Bulletin des médecins suisses. 2009 Fev; 90(9):328 – Vers l’article
  • Jordan B., Chroniques génomique : les tests génétiques grand public en « caméra cachée. Médecine/Scences (Paris). 2011 Jan; 27(1):103-6 – Vers le résumé | reservé-membres.pdf
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3 réponses à Au coeur de l'expérience, le récit d'une classe de 4e OC

  1. Bertrand Emery dit :

    Un autre usage que je viens de faire de ces séquences c’est leur utilisation pour discuter phylogénie avec mes élèves de 2e OS.

    En effet, avec application comme philophylo, il est « facile » de mettre en évidence le principe de comparaison de séquence pour la construction d’arbre phylogénétique. Cependant, les séquences sont déjà choisie pour vous.

    D’autres outils disponibles sur le web (pex: Phylogeny) permettent de construire les arbres à partir de séquences soumises. Or pourquoi ne pas utiliser les séquences récupérées avec les 4OC pour construire un arbre phylogénétique intraspécifique.

    A partir de cela, nous avons engagé la discussion sur la pertinence des séquences utilisées pour la construction d’arbres interspécifiques. Car finalement, quel doit donc être le consensus utilisé pour représenter telle ou telle autre espèce ? Même si les élèves étaient plutôt pour l’établissement d’une moyenne, est-ce que celle-ci est finalement bien représentative ? A-t-on suffisamment de séquences, mais surtout l’échantillon (à disposition) est-il vraiment représentatif de la diversité de l’espèce ? (Ceci n’étant qu’un échantillon des questions que nous avons abordé).

  2. Marie -Claude Blatter du SIB-ISB précise que les analyses phylogénétiques sont généralement faites avec des régions codantes (gènes codant pour des protéines ou des RNA fonctionnels) sous pression évolutive et donc beaucoup moins sujettes à des variations inter-individus.

  3. A mon avis, une bonne référence pour comparer ce niveau c’est le papier de Krings et al. (1997), dans lequel les chercheurs avaient séquencé la région HVS1 de l’ADNmt chez des humains, des chimpanzés, et un (ou des?) spécimen(s) Néandertaliens.
    La figure 6 est assez parlante, me semble-t-il. ( réservé-membres.jpg)

    A peu près 7 différences en moyenne entre 2 humains choisis au hasard, contre 55 différences en moyenne entre 1 humain et un chimpanzé choisis au hasard.
    Le papier de Pascal Gagneux (1999),et de Krings et al. (2000) montre qu’il y a en moyenne plus de différences entre 2 chimpanzés (ou entre 2 gorilles) qu’entre 2 humains.

    Pour un arbre phylogénétique établi sur la base de l’ADNmt voir notamment cette figure 2 publiée par Gagneux et al. (1999). Pour les unités : qu’est la Kimura 2 parameter distance ? En deux mots, on utilise le nombre de différences entre 2 séquences comme distance évolutive depuis leur coalescence, en supposant que ce nombre est proportionnel au temps d’évolution indépendante depuis l’ancêtre commun à ces deux séquences. Mais, en raison de divers phénomènes, dont notamment le fait que les transitions sont beaucoup plus fréquentes que les transversions, le nombre observé de différences entre deux séquences peut être assez différent du nombre réel d’événements mutationnels qu’elles ont subi depuis leur coalescence, et en particulier le sous-estimer. Donc, il y a différents modèles qui ont été proposés pour estimer le nombre réel d’événements mutationnels d’après le nombre observé de différences entre séquences. Le modèle à 2 paramètres de Kimura en est un (2 paramètres, car il suppose une probabilité de transition différente de la probabilité de transversion).
    Voir par exemple : wikipedia : Models_of_nucleotide_substitution

    Pour les différences inter et intraspécifiques : voir aussi la table 1

    Sources:

    Krings, M., Stone, A., Schmitz, R. W., Krainitzki, H., Stoneking, M., & Pääbo, S. (1997). Neandertal DNA Sequences and the Origin of Modern Humans. Cell, 90(1), 19-30. doi:16/S0092-8674(00)80310-4 Reservé-membres.pdf

    Krings, M., Capelli, C., Tschentscher, F., Geisert, H., Meyer, S., von Haeseler, A., Grossschmidt, K., et al. (2000). A view of Neandertal genetic diversity. Nat Genet, 26(2), 144-146. doi:10.1038/79855

    Gagneux, P., Wills, C., Gerloff, U., Tautz, D., Morin, P. A., Boesch, C., Fruth, B., et al. (1999). Mitochondrial sequences show diverse evolutionary histories of African hominoids. Proceedings of the National Academy of Sciences, 96(9), 5077 -5082. doi:10.1073/pnas.96.9.5077

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