Le lézard qui abandonne sa queue au prédateur … pourquoi ?
« Rien n’a de sens en biologie si ce n’est à la lumière de l’évolution »
(Dobzhansky, 1973).
|
Cette réponse classique à la question du pourquoi la place dans une perspective finaliste (téléologique) – « permettant d’échapper à », sous-entendant qu’un organisme dispose d’une fonction simplement parce qu’il en a besoin. Pourtant nous savons que le besoin ne crée pas la fonction.
Cette explication correspond si bien à la tendance naturelle à expliquer le monde vivant en termes téléologiques, anthropocentrés (« stratégies des animaux ») (Betz, et al.,2019) qu’elle ne choque personne, même dans la revue Science !
Les lecteurs sont supposés comprendre que ce raccourci de langage veut dire quelque chose comme « dans la diversité génétique des lézards, ceux chez lesquels on trouve ce mécanisme échappent plus souvent au prédateur,… et ont plus de descendants. »
Le paradigme explicatif de la biologie, fondé sur des explications causales objectives et moléculaires, permet des explications bien plus puissantes.
Elles ont permis – par exemple – de comprendre SARS-Cov2 et produire des vaccins très efficaces très rapidement.
Est-il si difficile de dire « Les lézards actuels descendent de ceux qui avaient ce mécanisme d’auto-amputation, voyons comment il se produit » .
…ou comment ce détachement se produit-il ?
Baban et al. (2022) sont plus prudents dans l’article source de la news par Ghatak (2022); la question qu’ils traitent est comment se fait-il qu’un membre ne se détache pas pendant l’activité normale de l’animal mais se détache facilement et rapidement lorsqu’il lutte pour échapper à l’emprise d’un prédateur ?
Par quel mécanisme cette autotomie se produit-elle – mais pas durant l’activité normale ?
Baban et al. (2022) montrent que l’auto-amputation de la queue se produit au niveau de segments séparés par plusieurs plans de fracture – des zones faibles. Leurs expériences avec trois espèces de lézards différentes – Hemidactylus flaviviridis, Cyrtopodion scabrum et Acanthodactylus schmidti – montrent que ces plans ne sont pas lisses mais sont faits de 3 niveaux de structures microscopiques avec des tailles allant de centaines de micromètres à des dizaines de nanomètres. Ces structures constituent des formes s’emboîtant les unes dans les autres à des niveaux de plus en plus petits permettant une liaison solide en temps normal, mais un détachement rapide lorsque les surfaces sont écartées latéralement – un peu comme quand on pèle un velcro. Ces structures s’emboitant les unes dans les autres (« microstructure hiérarchique » disent les auteurs) sont d’abord coniques et s’emboitant dans des cavités de forme correspondantes, la surface de ces cônes est formée de des structures en piliers en forme de champignons mou s’emboîtant dans des cavités, elles-mêmes tapissées de nanopores et en face de structures correspondantes en billes (Cf Fig. 2).
Mise en perspective de l’autotomie et de ces structure dans le vivant
Ghatak, A. (2022) dans la news ici complète son résumé de cette recherche en présentant un éventail de cas d’autotomie chez des animaux et des plantes qui pourrait intéresser de nombreux enseignants. Bien qu’il persiste avec des explications téléologiques, ou anthropocentrées, JTS se contente ici de proposer une traduction où sont repérées en vert ces raccourcis téléologiques, laissant libre le-la lecteur-trice. encourage le lecteur à aller vérifier dans la news d’origine : ici
» Les conclusions de Baban et al. pourraient s’appliquer à des caractéristiques hiérarchiques similaires présentes sur les pattes de nombreux animaux grimpant aux murs. Les geckos, les insectes et les grenouilles ont tous attiré l’attention des scientifiques pour leur capacité exceptionnelle à marcher ou à s’élancer sur une variété de surfaces dans leur habitat, souvent lorsqu’ils sont situés sur une surface verticale ou même complètement à l’envers. L’adhérence forte, mais réversible, à leurs pieds est dérivée de microstructures hiérarchiques qui se divisent en poils de plus en plus fins, qui se terminent par des coiffes en forme de spatule ou de champignon.
Des effets en profondeur, comme la pression réglable dans les sacs remplis de liquide ou d’air et l’adhérence avec une hystérèse aux parois internes des vaisseaux, amplifient encore l’effet arrêt de propagation des fissures et la dissipation d’énergie qui en résulte. Dans certains cas, un liquide émerge de minuscules trous sur les poils pour former un pont capillaire avec la surface adhérente, ce qui entraîne une adhérence à la fois forte et réversible. Lorsque le pied de l’animal est tiré perpendiculairement à la surface, des centaines et des milliers de minuscules attaches répartissent la charge et aident à résister à la séparation. En revanche, lors de la flexion ou lorsqu’un bord du contact « pèle », les contrainte de traction se concentrent suffisamment sur le front de rupture pour que la fissure puisse vaincre la résistance à au détachement, un peu comme le mécanisme d’autotomie de la queue de lézard.
Références:
- Baban, N. S., Orozaliev, A., Kirchhof, S., Stubbs, C. J., & Song, Y.-A. (2022). Biomimetic fracture model of lizard tail autotomy. Science, 375(6582), 770‑774. https://doi.org/10.1126/science.abh1614
- Betz, N., Leffers, J. S., Thor, E. E. D., Fux, M., de Nesnera, K., Tanner, K. D., & Coley, J. D. (2019). Cognitive Construal-Consistent Instructor Language in the Undergraduate Biology Classroom. CBE—Life Sciences Education, 18(4), ar63. https://doi.org/10.1187/cbe.19-04-0076
- Coley, J. D., & Tanner, K. (2015). Relations between Intuitive Biological Thinking and Biological Misconceptions in Biology Majors and Nonmajors. CBE-Life Sciences Education, 14(1), ar8. https://doi.org/10.1187/cbe.14-06-0094
- Dobzhansky, T. (1973). Nothing in biology makes sense except in the light of evolution. American Biology Teacher, 35(3), 125‑129
- Ghatak, A. (2022). How does a lizard shed its tail? Science, 375(6582), 721‑722. https://doi.org/10.1126/science.abn4949
- Potvin, P. (2013). Proposition for improving the classical models of conceptual change based on neuroeducational evidence : Conceptual prevalence. Neuroeducation, 2(1), 16‑43. https://doi.org/10.24046/neuroed.20130201.16
- Potvin, P. (2019). Faire apprendre les sciences et la technologie à l’école : Épistémologie, didactique, sciences cognitives et neurosciences au service de l’enseignant. Presses de l’université Laval.
- Potvin, P. (2019). Faire apprendre les sciences et la technologie à l’école : Épistémologie, didactique, sciences cognitives et neurosciences au service de l’enseignant. Presses de l’université Laval. Extraits intranet.pdf
- Potvin, P., Sauriol, É., & Riopel, M. (2015). Experimental evidence of the superiority of the prevalence model of conceptual change over the classical models and repetition. J Res Sci Teach, 52(8), 1082‑1108. https://doi.org/10.1002/tea.21235