Des élèves confrontés à la supraconductivité et à la recherche

La rigueur de la science enferme-t-elle ou émerveille-t-elle ?

« Je suis contente que la mesure soit un peu incertaine : comme ça je vois que la science ne peut pas tout expliquer et qu’il reste de la place pour l’étonnement et la créativité  » dit Carole*.

discussiongraphe imparfait
Figure 1 et 2 : Une belle discussion suscitée par les données authentiques.

« Mais dans mes recherches, c’est justement l’émerveillement, la curiosité de la découverte espérée, la surprise qui me motive« , répond le chercheur, et son enthousiasme sincère fait hésiter Carole.

C’est la confrontation avec des données authentiques qui a déclenché cette discussion… Ce type de débat n’est pas souvent proposé aux élèves car ils n’ont guère l’occasion de discuter les données authentiques dans un labo de recherche, parler avec un chercheur, confronter leur image de la science et de la recherche, à la réalité. C’est ce que Expériment@l veut favoriser. Expériment@l est une opportunité réservée aux profs de sciences Genevois que la faculté des sciences soutient. Vendredi 27 janvier le bâtiment très austère de l’école de physique a vu débarquer un groupe d’élèves un peu intimidés au laboratoire MaNEP du Pof. J.-M. Triscone. Ils sont accueillis par le très jovial chercheur en physique Dr. Stefano Gariglio.

Il ne ressemble pas au savant fou de certains stéréotypes.

Leur enseignante, Mme Krusche-Galeuchet avait présenté aux élèves la résistivité en fonction de la température et les avait préparés à mesurer la chute de résistance de la supraconductivité lors de cet évènement organisé par Expériment@l.

L’échantillon supraconducteur surprend les élèves : un simple bâtonnet noir dont l’apparence triviale ne laisse pas deviner des propriétés extraordinaires et qui paraissent presque magiques.


Figure 3 : Un échantillon de matière supraconductrice. Les 4 fils serviront à la mesure de résistance.

La mesure de la résistance « à 2 fils » ne convient pas


Figure 4 : Un ohmmètre classique ne convient pas pour les matières supraconductrices

Ils ont d’abord mesuré la résistance d’un barreau YBCO (composé d’Yttrium-Baryum-Cuivre-Oxygène) à température ambiante avec un classique Ohmmètre (=à 2 fils) : on trouve 1.9 Ohm, une valeur dans laquelle on ne peut discerner la résistance des fils et des soudures de la résistance propre du barreau YBCO … C’est pour cela qu’il faut une mesure « a 4 fils » qui envoie un courant constant et mesure la tension produite.

Un labo de recherche ne manifeste pas son prestige par sa décoration…

Plusieurs élèves s’étonnent de l’aspect « bricolage » du labo dans lequel ils sont, où les Dewar d’azote et d’Hélium liquide côtoient le fer à souder. Ils s’attendaient à un univers où le prestige du labo s’exprimerait dans la décoration et le mobilier, peut-être. Ils découvrent que la recherche fondamentale s’intéresse moins aux apparences des lieux qu’à la qualité des données produites, leur interprétation et surtout leur publication.
Figure 5 : Un labo de recherche est un endroit où la créativité plus que l’apparence sont à l’oeuvre.

Le chercheur nous montre une publication récente du MaNEP – dans la prestigieuse revue Nature – dans laquelle il est un des auteurs avec le Prof Triscone : Caviglia, A. D. et al. (2008).

Figure 6 : Un graphique extrait de Caviglia, A. D. et al. (2008).[img]

Les graphiques y paraissent refléter une maîtrise de la matière qui inquièteraient Carole. L’article complet est disponible à partir de son N° doi 10.1038/nature07576 pour les membres d’Expériment@l. Obtenir un article : Get-a-doi

La mesure réalisée par les élèves…

Un autre échantillon est monté au bout d’une canne de mesure …
Figure 7 : L’échantillon est fixé au bout d’une longue canne avec les 4 fils permettant la mesure de la résistance.

… et descendu progressivement dans l’Hélium liquide par un mécanisme a vis motorisé.
Figure 8: La longue canne est descendue progressivement dans l’Hélium liquide

Le gradient de température permet de nombreuses mesures à des T° différentes qui devraient révéler la chute brutale de la résistivité à la température de supraconductivité critique.


Figure 9 : La mesure à la main est doublée d’un enregistrement électronique.

Les élèves notent à la main les données qui sont aussi enregistrées dans un fichier informatique disponible aux membres Expériment@l seulement. (ici) Pendant les mesures le chercheur explique aux élèves les raisons de la mesure à 4 fils et répond aux questions. Un passionné de physique veut connaître les parcours d’études et les choix possibles. D’autres explorent les propriétés visuelles des objets du labo. Figure 10 : Même dans un labo, les attitudes classiques réapparaissent lorsqu’on se retrouve en situation d’enseignement élève/prof…


Figure 11 : Les mesures de T° et de la tension. Ici une de ces valeurs surprenantes à très basse température.

Les mesures de T° et de la tension à courant constant (100mA) permettent d’établir la résistance en appliquant la loi d’Ohm. L’expérience produit un graphique réaliste mais imparfait :

Figure 12 : La mesure réalisée par les élèves montre bien (flèche) la chute de résistance de l’échantillon. Une mesure plus propre réalisée sans les élèves pourrait donner l’image de droite,

Les élèves repartent avec leurs mesures manuelles et l’enseignante avec une clé USB avec les données réservées aux membres Expériment@l. (ici)

Le bilan pour la classe… commence

Les Objectifs de l’évènement étaient indirects :

– Curriculaires : Se confronter à et analyser des données plus authentiques que ce qui est normalement possible en classe. Eprouver les concepts de supraconductivité, de résistivité/ T° etc.

– Représentations sur la physique / Choix études : Faire évoluer les représentations sur la science et la recherche, le métier de chercheur, la physique actuelle, les choix pour leurs études,…

– Motivation et sens de la discipline scolaire : Permettre aux élèves d’établir des liens entre la physique en classe et la recherche en physique, motiver les élèves à la physique, donner plus de sens aux activités en labo, etc. On sait que cela a des effets positifs sur les apprentissages, et nous attendons les résultats bientôt. L’enseignante a écrit un article (ici) décrivant ce qui s’est passé et les effets éducatifs (motivation, mise en perspective liens avec le monde extrascolaire et notions, rapport à la recherche et à l’uni par exemple)

Trois éclairages !

Un historien des sciences –Prof  Jan Lacki –  propose un texte Histoire de la supraconductivité et de la suprafluidité qui met  en perspective la découverte pour comprendre la naissance des concepts. Un éclairage « Perspective sur les savoirs »

Le Prof A. Mueller propose un texte qui distingue l’apparente magie de cette supraconductivité et l’explication physique d’un phénomène surprenant  mais naturel: « Supraconductivité et mouvement perpétuel« . Un éclairage « Perspective sur les savoirs »

Compléments : Une discussion avec un spécialiste sur les interactions entre les paires de Cooper

Sources :

  • Caviglia, A. D., Gariglio, S., Reyren, N., Jaccard, D., Schneider, T., Gabay, M., . . . Triscone, J. M. (2008). Electric field control of the LaAlO3/SrTiO3 interface ground state. [10.1038/nature07576]. Nature, 456(7222), 624-627.

* Prénom fictif

Les données de cet évènement son disponibles ici : AuthenTIC

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Une réponse à Des élèves confrontés à la supraconductivité et à la recherche

  1. Andreas Mueller dit :

    Je le trouve la perception de cette élève pas juste:
    ce n’est pas l’erreur – souvent tout à fait explicable – qui laisse la place à l’étonnement et la créativité, mais plutôt l’anomalie et l’inconnu !

    Prof. Andreas Mueller, Didactique de la physique, IUFE

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