La physique quantique fascine et dérange, notamment parce que ses effets ne sont pas perceptibles à l’échelle macroscopique où nous vivons. Des recherches récentes à l’UNIGE (GAP-UNIGE) et l’EPFL (LPQM-EPFL) ont pu mettre en évidence à l’échelle du micromètre des phénomènes quantiques. D’accord, ce n’est pas encore le pont du Mont-Blanc, mais tout de même une avancée énorme depuis le niveau des particules où ces effets sont habituellement décrits.
L’intrication quantique établit un lien qui se moque des distances
« Quiconque n’est pas choqué par la mécanique quantique ne la comprend pas »
(Niels Bohr, in Pais, 1991)
Le monde quantique est étrange et intellectuellement perturbant car les règles qui agissent à l’échelle des atomes et des photons sont radicalement différentes des nôtres. (cf encadré)
L’ordre de grandeur de l’atome est de 10-10 mètres, avec un noyau 100000 fois plus petit ! Est-ce que cela est vraiment concevable pour nos élèves ? En tout cas il s’agit d’un véritable défi à relever pour nous autres enseignants car il permet d’ouvrir les portes vers le monde moderne des sciences à nos élèves (Hawkins, 1978 et Bazant, 2002) |
Un des concepts fantastique est la notion d’entanglement (intrication ou non-localité). Pour illustrer cela disons que lorsque deux photons ont été en contact ces derniers continuent d’être comme s’ils étaient toujours liés. En agissant sur l’un d’eux, l’autre réagit simultanément, même si ce dernier est à l’autre bout de l’univers.
« Deux cœurs qui ont interagi dans le passé ne peuvent plus être considérés de la même manière que s’ils ne s’étaient jamais rencontrés. Marqués à jamais par leur rencontre, ils forment un tout inséparable. » (Dans ses travaux de vulgarisation, largement diffusé sur le web, Etienne Klein cherche toujours à montrer que les phénomènes quantiques, tenus souvent comme paradoxales, ressemblent finalement à des effets très familiers. )
Un deuxième phénomène étranges est le concept de « superposition », ou une particule quantique peut être à plusieurs endroits à la fois ou encore présenter simultanément plusieurs états. Ainsi une mesure (position, quantité de mouvement, spin…) sur cette particule donne un résultat tiré au hasard parmi un réservoir de possibilités. Une sorte de lancer de dé où chaque face du dé aurait une certaine probabilité d’apparition. La valeur de cette mesure n’est connue que lorsque la mesure en question est faite. Avant cela, on parle d’état quantique. Le résultat de la mesure n’est donc pas déterminé à l’avance. L’interprétation dite de Copenhague (due au physicien danois Niels Bohr au début du siècle dernier), souligne que le problème n’est pas que nous ignorons par exemple, la position exacte d’une particule, mais que tout simplement cette propriété n’existe pas avant la mesure.
Observer des effets quantiques sur des objets macroscopiques
De nos jours des efforts considérables sont investis afin de mettre notre monde macroscopique au régime de la physique quantique. Parmi les nombreuses motivations on relèvera le désir de s’attaquer à une question de longue date, à savoir : la théorie quantique peut-elle s’appliquer à n’importe quelle échelle ? Où est-ce que ce monde quantique commence? Est-il possible d’observer des objets macroscopiques dans un état non classique ?
En janvier 2011, des chercheurs de l’université de Genève avaient réussi l’exploit d’intriquer des cristaux, dépassant ainsi la dimension atomique. En juillet 2013, le groupe du professeur Nicolas Gisin était parvenu à intriquer deux fibres optiques peuplées de 500 photons. Cette nouvelle prouesse, ayant fait l’objet d’une publication (Bruno et al, 2013) dans Nature Physics(Les membres Expériment@l peuvent obtenir cet article), apportait déjà un début de réponse à la question fondamentale: les propriétés quantiques peuvent-elles survivre au niveau macroscopique?
L’obstacle principal pour de telles observations est ce que les physiciens appellent « décohérence quantique ». En effet, lorsque la taille d’un système augmente, ce dernier interagit de plus en plus avec son environnement, ce qui détruit rapidement ses propriétés quantiques…Cependant, en ce début d’année 2014, des chercheurs du « Laboratoire de Photonique et de Mesures Quantiques (LPQM-EPFL) et du « Group of Applied Physics » (GAP-UNIGE) viennent de proposer un système permettant d’explorer des états « non-classiques » de structures macroscopiques (Galland, Sangouard, Piro, Gisin, et Kippenberg, 2014)(Les membres Expériment@l peuvent obtenir cet article). Il est fondé sur une cavité opto-mécanique (cf encadré) dans laquelle un oscillateur mécanique est couplé à un champ lumineux d’une cavité très réfléchissante.
L’opto-mécanique est un domaine de la physique en plein développement qui traite de l’interaction entre la lumière et un oscillateur mécanique. |
Comment ont-ils procédé
Le système spécifique à l’étude, pour réaliser l’expérience, en cours de développement au sein du groupe du professeur Tobias Kippenberg à l’EPFL (LPQM-EPFL), est montré dans la figure 1.
Fig 1:[img] les trous soigneusement placés le long de la poutre de silicium suspendue (l’oscillateur mécanique) limitent les vibrations lumineuses et mécaniques dans la région centrale. Cela est illustré dans l’encadré blanc, montrant le résultat de simulations mécaniques (partie supérieur) et optiques (partie inférieure). La poutre se comporte donc comme un petit tambour, et les photons sont utilisés à la fois pour exciter et détecter le mouvement. Source : http://actu.epfl.ch
Pour résumer l’expérience, une impulsion laser génère une paire intriquée de photon-phonon (un photon vient heurter la poutre de silicium ce qui engendre une vibration, excited state or phonon. La détection du photon dispersé permet d’annoncer qu’un single-phonon state a été induit immédiatement dans l’oscillateur (la poutre de silicium).
Un phénomène quantique d’entanglement est ainsi observé à l’échelle macroscopique, au sein d’un véritable système mécanique dont l’ordre de grandeur est le micromètre!
Selon les auteurs ces systèmes opto-mécaniques, pourraient nous donner la possibilité d’étendre l’entanglement sur des centaines de kilomètres. En effet, si deux systèmes distants sont excités par un faisceau laser, la détection d’un seul photon projetterait les oscillateurs mécaniques dans un état d’entanglement où ils partageraient un seul phonon.
« Scientists keep pushing the boundaries of the quantum world »
Et peut-être qu’un jour nos sens nous donnerons accès à cet étrange monde quantique…
Références
- Bazant, Z. P. (2002). Scaling of structural strength. New York: Taylor & Francis Books.
- Bruno N., Martin A., Sekatski P., Sangouard N., Thew R. T. & Gisin N. (2013). Displacement of entanglement back and forth between the micro and macro domains, Nature Physics 9, 545-548. doi:10.1038/nphys2681
- Galland C., Sangouard N., Piro N., Gisin N. & Kippenberg T. J. (2014). Heralded Single-Phonon Preparation, Storage, and Readout in Cavity Optomechanics, Physical Review Letters 112, 143602. doi : 10.1103/PhysRevLett.112.143602
- Hawkins, D. (1978), Critical barriers to science learning, Outlook, 29
- Pais A. (1991). Niels Bohr’s Times, In Physics, Philosophy and Polity. New York: Oxford University Press.