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Agir pour l’environnement donne « chaud au ventre » «warm glow»
Le fait d’adopter un comportement pro-environnement est susceptible de produire un sentiment de bien-être. Le plaisir ressenti est à même d’encourager à renouveler l’expérience et d’enclencher ainsi un cercle vertueux.
Le réchauffement global suscite de fortes émotions dans la population. Mais certaines de ces émotions ne pourraient-elles pas, en retour, contribuer à corriger la trajectoire périlleuse dans laquelle se sont engagés les changements climatiques? Sans aucun doute, estime Tobias Brosch, professeur associé à la Section de psychologie (Faculté de psychologie et des sciences de l’éducation), qui a réalisé une vaste revue de la littérature scientifique sur la question. Et dans cette étude, parue en ligne le 25 février dans la revue Current Opinion in Behavioral Sciences, on apprend notamment que le warm glow pourrait jouer un rôle important. .
encourage le lecteur à aller vérifier dans l’article d’origine : ici :Feel good, stay green: Positive affect promotes pro-environmental behaviors and mitigates compensatory « mental bookkeeping » effects
Highlights
• Mental bookkeeping as a potential mechanism underlying behavioral spillover.
• Behavioral similarity reduces the reported likelihood of showing a second PEB.
• Positive affect increases the reported likelihood of showing a second PEB.
• First indication that affect modulates behavioral spillover processes.
• Opportunity costs must be considered when developing interventions in practice.
Interview
LeJournal: Qu’est-ce que le «warm glow»?
Tobias Brosch: C’est une notion qui désigne le sentiment de satisfaction ou de bien-être consécutif à une action dite pro-sociale, c’est-à-dire à une action qui bénéficie à quelqu’un d’autre que soi-même. Cette notion a été proposée par des économistes pour tenter de résoudre une contradiction entre leurs théories basées sur le concept d’Homo economicus, exclusivement motivé par son intérêt égoïste, et les comportements manifestement altruistes qu’adoptent les individus dans la société. Le warm glow, ou «lueur chaleureuse», permet de préserver ce modèle. Grâce à lui, on peut en effet affirmer que le fait d’effectuer une bonne action – comme donner de l’argent à un-e mendiant-e ou à une association caritative – est en réalité motivé par la récompense affective qui lui est associée et qui se concrétise par un sentiment de bien-être. Ce sentiment, qui est une émotion positive bien réelle, peut d’ailleurs être assez fort. On a observé que certaines personnes l’anticipent et cherchent à le provoquer de nouveau. Il se met alors en place une boucle de renforcement, un cercle vertueux en quelque sorte, la bonne action entraînant un sentiment de bien-être, lui-même encourageant à renouveler l’expérience.
Quel est le rapport avec le changement climatique?
Il se trouve que les scientifiques commencent à utiliser cette notion de warm glow dans d’autres domaines que l’économie. Il y a cinq ans, une étude a ainsi montré que l’on peut également ressentir cette «chaleur au ventre» après une action en faveur de l’environnement. Dans une étude parue en 2018 dans le Journal of Environmental Psychology, nous avons montré qu’un affect positif lié à une première action pro-environnementale motive les participants à en faire une seconde. D’autres travaux ont établi que certaines personnes ont effectivement mis en place des boucles de renforcement liées à des comportements pro-environnementaux ou «durables».
Comment peut-on lancer de telles boucles vertueuses?
Il faut rendre les comportements pro-environnementaux plaisants et compatibles avec les valeurs des individus. Et ce n’est pas toujours aisé. Prendre des douches courtes, préférer le vélo à la voiture, renoncer à des vacances à Tenerife sont des décisions peu motivantes. Mais on peut jouer sur de nombreux leviers pour lancer des boucles vertueuses. La multiplication des voies cyclables, par exemple, peut faciliter la pratique du vélo. Une pratique qui peut produire du plaisir, surtout quand il fait beau, ce qui peut résonner avec les valeurs personnelles et entraîner le sentiment d’être une meilleure personne tout en ajoutant du sens à sa vie. On pourrait installer dans les abribus des miroirs avec un slogan disant par exemple: «Je prends les transports publics, j’ai fait le choix vert», histoire de flatter l’image que l’on se fait de soi-même. De façon plus ludique, on peut disposer des cendriers dans les lieux publics par paires pour permettre aux fumeurs et aux fumeuses de voter entre deux clubs de foot rivaux, par exemple, selon qu’elles ou ils jettent leur mégot dans le compartiment indiquant que «le FC Servette est le meilleur club romand» ou celui annonçant que «le FC Lausanne est le meilleur club romand». Ce sont autant de petites actions qui, si elles se multiplient, peuvent contribuer de manière significative à améliorer la situation.
Votre article passe en revue un ensemble d’études qui se sont penchées sur les sentiments du public vis-à-vis du changement climatique. Quel résultat plus général en tirez-vous?
J’ai tenté de déterminer les facteurs permettant de prédire avec le plus de précision possible les réponses des individus à des questions du type: quelle est votre perception du risque lié au changement climatique? Jusqu’à quel point êtes-vous prêt-e à adopter des comportements visant à atténuer ces bouleversements ou à vous adapter à leurs conséquences? Quel est votre soutien à des politiques pro-environnementales? Quel est votre degré d’acceptation des technologies renouvelables? Contre toute attente, ce n’est pas le sexe, l’âge, la situation socio-économique ou encore le parti politique qui font la différence. Ce sont les émotions. Les personnes ayant un sentiment négatif vis-à-vis de la situation environnementale, exprimé par un niveau relativement élevé de peur, de préoccupation ou de culpabilité, par exemple, sont aussi celles qui ont la perception du risque la plus aiguë du phénomène global, qui sont les plus susceptibles d’adopter des comportements durables, etc. Les émotions capturent et permettent d’expliquer les différences de comportement mieux que n’importe quel autre facteur. Il vaut donc mieux utiliser leur potentiel pour encourager l’action citoyenne à l’aide d’une communication adaptée.
Sur quelles émotions faut-il baser cette communication?
Actuellement, la communication sur le changement climatique est principalement fondée sur un vocabulaire alarmiste cherchant à provoquer la peur et la culpabilité chez les citoyens et citoyennes. Mais à trop insister sur la catastrophe climatique, on peut craindre que les personnes finissent par ressentir un sentiment d’impuissance qui les pousse à se dire qu’il est de toute façon déjà trop tard et qu’il ne sert plus à rien de changer ses habitudes. Cela dit, jusqu’à présent, cet effet négatif de la peur n’a pas encore été réellement observé dans le contexte du changement climatique. Il semble au contraire que les messages négatifs renforcent plutôt la volonté d’agir.
Cela vaudrait-il la peine de transmettre de l’espoir?
Les études suggèrent que les communications très positives porteuses d’espoir comportent aussi le risque d’aboutir à l’immobilisme. Par complaisance, les personnes pourraient en effet renoncer à changer de comportement puisque, au final, la situation va s’améliorer. Il s’agit donc de trouver un juste milieu, afin d’éviter aussi bien les effets pervers de la peur que ceux de l’espoir. Pour y parvenir, il est essentiel d’intégrer la recherche en sciences affectives dans le design des interventions pro-environnementales, afin de définir les bons messages. Et dans cette approche, la notion du warm glow peut jouer un rôle important.
Références:
- Brosch, T. (2021). Affect and emotions as drivers of climate change perception and action : A review. Current Opinion in Behavioral Sciences, 42, 15‑21.https://doi.org/10.1016/j.cobeha.2021.02.001