Par Katarina Krusche Galeuchet , enseignante au Collège Calvin et au C.O. Marais
Le 27 janvier 2012, une classe de 3ème gymnasiale a saisi l’opportunité qui lui a été offerte par le projet Experiment@l de la faculté des Sciences d’effectuer des mesures de résistance électrique d’un supraconducteur à haute température (YBaCuO), sous la supervision d’un chercheur d’un laboratoire du MaNEP de Université de Genève.
Avant …
Cette expérience a permis d’aborder préalablement en classe la notion de résistance au courant électrique, non seulement comme grandeur purement phénoménologique (loi d’Ohm, limitation de l’intensité du courant), mais aussi comme phénomène inhérent à la structure de la matière et à l’organisation du gaz électronique qui la compose.
Fin janvier 2012, cette classe de 10 élèves s’est donc retrouvée à l’Ecole de Physique avec M. F. Lombard et le Dr. S. Gariglio, dans le laboratoire de ce dernier. Après une brève explication des buts de Experiment@l par M. Lombard, le Dr. Gariglio s’est présenté aux élèves en explicitant son cursus et son rôle de chercheur, puis leur a montré le dispositif expérimental et les appareils de mesures.
Au centre les données … et l’expérience !
Pour commencer, des mesures de la résistance d’un échantillon d’YBaCuO ont été effectuées à température ambiante avec un Ohmmètre. Une première mesure a été effectuée à 2 fils, puis une deuxième à 4 fils, pour sensibiliser les élèves au fait que les soudures de contact entre les fils et l’échantillon peuvent avoir un effet perturbateur. Cet effet pouvant être bien plus grand que l’effet étudié, un soin très particulier doit être donné au dispositif expérimental pour s’assurer qu’on mesure bien ce qu’on veut mesurer. Les élèves ont été surpris que la résistance de certains supraconducteurs à des températures supérieures à la température critique soit bien plus importante que celle d’un métal aux mêmes températures. Ceci montre bien que les supraconducteurs se comportent de manière différente des matériaux standards.
Après ces mesures préliminaires, l’échantillon a été introduit dans un récipient contenant de l’hélium liquide afin de le refroidir jusqu’à 4 degrés Kelvin. Lors de son refroidissement, la résistance de l’échantillon a été notée à la main tous les 10 degrés. Pendant la prise de ces mesures, le principe de fonctionnement d’un thermomètre permettant de mesurer des températures très basses a également été discuté. Les avantages d’utiliser les degrés Kelvin plutôt que les degrés Celsius ont été évoqués. Les élèves ont également pu constater que les mesures effectuées faisaient l’objet de fortes fluctuations en raison de différents effets expérimentaux (soudures, descente trop rapide de la température). Finalement, nos résultats ont été comparés à ceux publiés dans un article scientifique récent de M. Gariglio
Caviglia, A. D., Gariglio, S., Reyren, N., Jaccard, D., Schneider, T., Gabay, M., . . . Triscone, J. M. (2008). Electric field control of the LaAlO3/SrTiO3 interface ground state. [10.1038/nature07576]. Nature, 456(7222), 624-627.
Une deuxième série de mesure a été faite pendant le réchauffement de l’échantillon, de manière automatique. Pendant le temps de la prise de mesure, les élèves ont eu l’occasion de poser des questions au chercheur.
La physique en classe et la recheche en physique
Il n’était bien sûr pas possible de proposer un cours de mécanique quantique aux élèves. L’idée cependant que seule une théorie plus vaste et plus pointue que celle enseignée en cours permette d’expliquer un phénomène observable au niveau macroscopique, mais dont les origines se trouvent au niveau de l’infiniment petit, a pu susciter chez certains des élèves une curiosité plus grande pour ce qui se passe au niveau de la recherche en physique.
Interaction élèves –chercheur : les questions d’élèves…
La première série de question était d’ordre expérimental :
Est-il possible de transporter du courant électrique sans pertes ? Ceci s’avère être difficile, d’une part pour des raisons de coût, puisqu’il faut refroidir le conducteur en dessous de la température critique et surtout parce que le supraconducteur perd ses propriétés supraconductrices quand il est parcouru par un courant trop intense.
Quelle est l’utilité des supraconducteurs ? M. Gariglio a évoqué les aimants supraconducteurs du CERN sans lesquels les particules à haute énergie ne pourraient être déviées. Puis il a parlé des IRM dans les hôpitaux dqans lesquels ces champs magnétiques très intenses permettent d’obtenir des images des tissus biologiques « mous » quand ceci n’est pas possible avec des rayons X.
La vie de chercheur …
La seconde série de questions était d’ordre plus personnel, puisqu’elles portaient sur la vie de chercheur, les moyens pour le devenir, des satisfactions et des frustrations liées à ce métier, des différences entre recherche fondamentale et appliquée et des possibilités de faire un travail de Maturité dans un tel laboratoire. M. Gariglio a bien volontiers partagé avec les élèves son vécu et ses expériences sur sa vie de chercheur.
Concernant l’environnement expérimental, les élèves ont surtout été surpris par la vétusté des locaux (sol en lino craquelé, fenêtres avec des cadres en bois qui fermaient mal..) et du système électrique (tableau électrique avec des vieux plombs à fil au lieu de disjoncteurs modernes). Ils s’attendaient à un labo à la propreté irréprochable au lieu des outils divers qui trainaient sur les tables. Selon quelques commentaires, « cela fait plutôt garage de bricoleur ». Mais du coup ils ont aussi été moins intimidés qu’ils ne l’auraient été dans un endroit plus « clinique ».
Les études…
A l’enseignante, ils ont demandé des précisions sur la différence des études et la valeur du diplôme entre l’EPFL et l’Université. Ils voulaient aussi savoir quelle était la différence entre la recherche fondamentale et appliquée et s’il y avait plus ou moins d’opportunités de trouver du travail en tant qu’ingénieur ou universitaire.
Préparation et suivi en classe…
Dans son cours, l’enseignante s’est efforcée d’expliquer aux élèves qu’en l’état actuel de la recherche, et après plus de 25 ans d’efforts, le fonctionnement de la supraconductivité à haute température n’est toujours pas entièrement compris. La théorie classique de la supraconductivité basée sur les paires de Cooper et les interactions avec les phonons, ne permet donc pas d’expliquer le phénomène observé sur l’échantillon étudié avec cette classe.
Après avoir introduit quelques notions de physique du solide, comme le fait que les supraconducteurs dits « à haute température » sont de structure « pérovskite » (une vaste famille de minéraux dont les propriétés électromagnétiques varient avec la température, en raison de changements de phases), l’enseignante a pu préciser que la supraconductivité de ces matériaux a lieu au niveau du plan double que font les atomes d’oxygène, dans le plan médian de la maille cristalline pérovskite ou à l’interface entre deux pérovskites. Elle a également rappelé aux élèves que la découverte des supraconducteurs à haute température a valu le prix Nobel de physique en 1986 à deux chercheurs du laboratoire IBM de Zurich, A. Müller et G. Bednorz.
L’enseignante a aussi l’intention de reprendre ces notions quand elle commencera son cours de magnétisme pour aborder d’autres phénomènes inhérents aux supraconducteurs comme le comportement magnétique qui aboutit à la lévitation.
La semaine qui a suivi cette visite, a été consacrée au bilan et à la discussion des résultats obtenus, (en particulier que la chute brutale et quasi-instantanée de la résistance montre bien la transition de phase de la structure cristalline), ainsi qu’aux impressions que l’environnement expérimental a laissé aux élèves. L’enseignante a en particulier insisté pour reprendre le dispositif expérimental. Les élèves ont pour mission d’écrire un rapport sur cette expérience pour le publier dans les annales du Collège et doivent donc bien avoir compris les contraintes techniques.
Ainsi, même si ces mesures ne sont pas directement en lien avec le programme de physique en 3ième année, elles permettent néanmoins d’approfondir et d’étayer des notions essentielles du cours. Pouvoir dire aux élèves qu’on maitrise bien les applications d’un phénomène mais qu’on ne peut l’expliquer de manière satisfaisante et qu’il y a donc encore beaucoup de travail de recherche à faire pour les futures générations est quelque chose d’encourageant pour les élèves.
Dans l’ensemble les élèves ont été très satisfaits de l’opportunité qui leur a été offerte de sortir de la zone protégée d’une salle de classe et d’être confrontés aux réalités scientifiques « du terrain ».
- Un historien des sciences –Prof Jan Lacki – propose un texte Histoire de la supraconductivité et de la suprafluidité qui met en perspective la découverte pour comprendre la naissance des concepts. Un éclairage « Perspective sur les savoirs »
- Le Prof A. Mueller propose un texte qui distingue l’apparente magie de cette supraconductivité et l’explication physique d’un phénomène surprenant mais naturel: « Supraconductivité et mouvement perpétuel« . Un éclairage didactique : « Perspective sur les savoirs »
- Un éclairage sur les confrontations des élèves avec un chercheur, un labo de recherche, la science en mouvement : Des élèves confrontés à la supraconductivité et à la recherche : un éclairage « Savoirs en classe » ^
- Compléments : Une discussion avec un spécialiste sur les interactions entre les paires de Cooper
Mme K. Krusche Galeuchet est Ingénieur Physicien de l’EPFL et Dr. en Sciences Naturelles de l’ETH Zurich où elle a mené des recherches sur l‘analyse de la structure de biomolécules par microscopie électronique. Elle a ensuite brièvement travaillé dans le domaine du génie médical, puis à l’Office Fédéral de l’Education et de la Science à Berne, avant d’enseigner à Genève , en particulier dans les classes bilingues.
Les données de cet évènement son disponibles ici : AuthenTIC