La conduction (à la limite) de deux matières isolantes
Bien que Higgs occupe pas mal l’avant-scène ces temps, le groupe du professeur Triscone, du Pôle national MaNEP qui étudie les matériaux avec des propriétés extraordinaires, a réalisé une expérience qui éclaire justement un comportement extraordinaire deux matériaux isolants devenant conducteurs à leur interface.
Le communiqué de presse dit : « Comment une interface électriquement conductrice peut-elle apparaître à la jonction entre deux matériaux isolants? Une équipe de chercheurs du Pôle national MaNEP de l’Université de Genève (UNIGE), de l’Institut Paul Scherrer (PSI) et de l’Université de Liège (ULG) a clarifié un débat de longue date en montrant que cet effet est intrinsèque à la jonction entre ces deux isolants. L’interface entre ces deux composés possède des propriétés électriques et magnétiques fascinantes qui laissent entrevoir un certain nombre d’applications dans le domaine de l’électronique et de l’informatique. Les résultats ont été publiés dans la revue Nature Communications » ici Comment Obtenir un article mentionné : Get-a-doi
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Parmi les auteurs on note S. Gariglio qui a accueilli deux classes du secondaire au MaNEP dans le cadre d’un évènement supraconducteur avec Expériment@l « Des élèves confrontés à la supraconductivité et à la recherche » Accéder à l’article →.
Comme Expériment@l s’adresse à des profs de science et notamment de physique, nous avons choisi de ne pas vulgarise. Cet article Expériment@l n’est pas « pour les nuls ». Il s’intéresse plutôt à l’information de qualité, à la source-même des savoirs : la publication d’origine. Expériment@l vous en facilite l’accès, attire l’attention sur des recherches récentes et les commente dans le plan éducatif.
Abstract – pas pour les nuls
« The physical mechanisms responsible for the formation of a two-dimensional electron gas at the interface between insulating SrTiO3 and LaAlO3 have remained a contentious subject since its discovery in 2004. Opinion is divided between an intrinsic mechanism involving the build-up of an internal electric potential due to the polar discontinuity at the interface between SrTiO3 and LaAlO3, and extrinsic mechanisms attributed to structural imperfections. Here we show that interface conductivity is also exhibited when the LaAlO3 layer is diluted with SrTiO3, and that the threshold thickness required to show conductivity scales inversely with the fraction of LaAlO3 in this solid solution, and thereby also with the layer’s formal polarization. These results can be best described in terms of the intrinsic polar-catastrophe model, hence providing the most compelling evidence, to date, in favour of this mechanism. »
Un commentaire de l’article pour le mettre en perspective et donner envie de le lire
En 2004, des chercheurs ont découvert un phénomène surprenant et inattendu: une couche conductrice apparaît à l’interface entre deux oxydes isolants, SrTiO3 et LaAlO3. Après plusieurs années d’intenses recherches, de nombreuses hypothèses ont été proposées, mais l’origine de cette conductivité restait toujours controversée.
C’est l’hypothèse connue sous le nom de « catastrophe polaire » qui a été vérifiée par l’équipe de chercheurs de l’UNIGE, du PSI et de l’ULG. Cette théorie relie la conduction aux propriétés intrinsèques de la jonction. De manière schématique, la nature chimique différente des atomes composant le SrTiO3 et le LaAlO3 est responsable d’un déséquilibre des charges électriques de part et d’autre de l’interface. Pour pallier ce déséquilibre, cette théorie prédit que, pour une épaisseur critique de LaAlO3, le système électronique se réarrange en transférant des électrons vers l’interface rendant celle-ci conductrice.
Ces recherches réfutent ainsi l’hypothèse qui suggérait que les défauts, inhérents à la croissance de la couche de LaAlO3, étaient à l’origine d’un dopage chimique de la région d’interface et généraient la couche conductrice. Service de presse de l’UniGe
Comprendre cette expérience n’est possible que si on a dépassé un obstacle…
Sur le plan didactique, cet article – et même le titre de l’article de presse et de ce message – met en évidence une conception-obstacle chez les élèves: la conduction serait une propriété de la matière elle-même – des éléments et des molécules. C’est que cette conception explique très bien ce qu’on observe dans la vie courante, le cuivre est conducteur quelle que soit sa forme et à quoi il est apposé, le verre ou le PVC sont isolants dans toutes les situations courantes et indépendamment de ce à quoi on les applique. On comprend que les élèves s’y accrochent.
S. Gariglio un des auteurs de l’article explique que :
« Concernant l’explication de la conduction, c’est un peu plus compliqué.
C’est vrai que dans la nature on trouve des matériaux qui sont conducteurs (cuivre et autres métaux) et d’autres qui sont isolants (verre, plastiques,…).
Cependant, il y a des matériaux qui peuvent être conducteurs ou isolants en fonction de leur composition: on dope un matériau isolant avec des impuretés pour induire un état conducteur. Mais on peut aussi réaliser des structures plus complexes, comme les heterostrucutres des semi-conducteurs, où le mechanism de dopage est plus subtil.
Notre interface est composé de deux matériaux isolants, mais à certains endroits du matériau il existe des états électroniques que si on arrive à peupler, le matériau devient conducteur ».
Si on se place dans le plan de l’éducation, tant que l’on pense la conduction comme une propriété de la matière, une matière isolante (silicium, germanium, etc.), on ne peut pas comprendre même une « simple » diode semi-conductrice et encore moins un transistor !
On peut mieux comprendre ces phénomènes confirme Laura Weiss – didacticienne de la Physique – si l’on considère que c’est la manière dont les électrons sont dans certaines orbitales et comment ces électrons interagissent qui détermine la conductivité ( bande de conduction) et pas de la matière elle-même ( élément chimique, molécule).
Une fois qu’on comprend cela, on peut imaginer que l’interface entre deux matières isolantes peut modifier les interactions entre les orbitales et produire des bandes électroniques qui conduisent
Donc on ne peut commencer à comprendre ces chercheurs font ( et même qu’ils aient voulu le faire) sans avoir dépassé la conception obstacle que la conduction serait une propriété de certaines matières. Une fois qu’on commence à penser en termes d’états électroniques, d’orbitales on peut commencer à comprendre. Et cette phrase de S. Gariglio prend alors du sens :
Et c’est notre cas: on peuple ces états avec des électrons qui viennent d’un mécanisme de dopage particulier, sans introduction d’impureté. Le méchanisme est l’écrantage électronique.
A partir de là on peut commencer à entrevoir en quoi cette recherche est fascinante ! Et aller lire l’article entier… ou juste ce qui nous intéresse, Rien que pour le plaisir !
Pour soi-même, et même pas forcément pour les élèves !
C’est ce genre de petits bonheurs de découvrir que nous voulons faciliter avec Expériment@l !
Commentaires précisions, contradictions argumentées bienvenus sous forme de commentaires à cet article
Sources
- Reinle-Schmitt, M. L., Cancellieri, C., Li, D., Fontaine, D., Medarde, M., Pomjakushina, E., Schneider, C. W., et al. (2012). Tunable conductivity threshold at polar oxide interfaces. Nature Communications, 3, 932. doi:10.1038/ncomms1936 intranet.pdf réservés aux membres