Les mutations des virus qui les rendent plus virulents : exemple d'évolution en cours

L’évolution : au coeur de la biologie mais contre-intuitive et si souvent communiquée de manière erronée

« Rien n’a de sens en biologie si ce n’est à la lumière de l’évolution »  (Dobzhansky, 1973). Ainsi la pandémie peut être analysée comme l’évolution du virus Sars-CoV-2 dans un milieu (les humains et leur diversité génétique, leur système immunitaire qui se modifie au contact du virus et de vaccins bientôt, leurs comportements qui changent avec les distances sociales, les masques, la désinfection des mains, …) mais aussi les mutations aléatoires du virus et celles qui sont favorisées par ce milieu.
Nous avons sous les yeux un très inquiétant exemple d’évolution où un organisme (le virus) induit des modifications de son milieu ce qui favorise plutôt certaines souches – et dans ces souches les virus porteurs de mutations ou variants plus adaptés à ce nouveau milieu où la transmission est plus difficile.
C’est aussi un exemple très intéressant d’évolution en marche, qui permet de donner encore plus de sens à l’apprentissage de la biologie,  de montrer combien elle permet de comprendre : expliquer ce qui s’est passé, anticiper ce qui pourrait se passer, contribuer aux décisions comme le  demande le PER cf ici « identifier des questions, de développer progressivement la capacité de problématiser des situations, de mobiliser des outils et des démarches, de tirer des conclusions fondées sur des faits, notamment en vue de comprendre le monde naturel et de prendre des décisions à son propos, … »(CIIP, 2011)

Des données pour vérifier, appliquer les explications biologiques accessibles en classe

En 2020 nous avons l’opportunité d’accéder gratuitement à des données authentiques, à jour, directement issues de la recherche, accessibles en classe pour faire travailler les élèves dans des activités ou problèmes, voire pour préparer nos cours.

Cette biologie numérique (bioinformatiques) est un des effets positif de la numérisation de la société (et de la science) dont chacun a pu voir les effets complexes, parfois positifs parfois négatifs dans l’enseignement à distance.
Marie-Claude Blatter du SIB a développé un atelier Coronavirus et protéines L’atelier inclut la PCR, des alignements de séquences, un peu d’évolution et de la structure 3D avec médicament…il est très complet…

Jump-To-Science a sélectionné pour vous des données et des réflexions qui pourraient être utiles pour aider les élèves à comprendre l’évolution – et comment la sélection de certains variants pourraient influencer la propagation du virus du COVID dans un milieu que les mesures sanitaires ont changé.

La différenciation des souches – depuis décembre 2019 et à travers le monde à partir de Wuhan

Nextstrainnexstrain-logo compile et offre le suivi des souches du virus en fonction du lieu et du temps :

Fig 1: Les différentes souches apparues au cours du temps et leur répartition en fonction du milieu [img]. Source :https://nextstrain.org/ncov/global
On peut observer la diversification des souches en fonction du temps, et leur différenciation en fonction des régions – possiblement en fonction de différences génétiques, de comportement sanitaire etc.  On voit bien que les souches présentes ici et là ne sont pas les mêmes –  dans le temps ni dans l’espace. L’expression « le virus » donne une fausse impression d’homogénéité et renforce la conception d’une entité qui mute parfois pour échapper aux interventions de la médecine.

encourage le lecteur à aller vérifier dans le site d’origine :  ici

Des données pour discuter l’évolution en classe

Il peut être intéressant d’explorer avec les élèves la puissance explicative des modèles de l’évolution vus en classe : Discuter si ces données authentiques pourraient s’expliquer (avec les modèles de sélection naturelle vus en classe) par la sélection des souches plus adaptées au milieu différent formé par les comportements qui changent (observation des règles de distanciation, port du masque, lavage des mains, etc.), ou la génétique, ou des autres facteurs (pyramide des âges ?, … ).

Les mutations du virus SARS-CoV-2

Le virus du COVID-19 évolue relativement lentement par rapport à celui du VIH (Callaway, E. 2020) – en effet  une enzyme NSP14 répare la plupart des erreurs dans la copie de son  ARN.

Le rôle, la séquence et la structure 3D de chacune des protéines du virus ici :

Mutation-processus ou mutation-résultat?

Une difficulté pour les élèves résulte du fait que ce terme mutation désigne aussi bien les processus qui produisent un changement dans la séquence d’ADN ou d’ARN (erreurs  de copie, substances mutagènes, rayonnements ionisants,…) que le résultat de ce changement : la séquence différente – plutôt appelé variant  dans les banques de données (exemple) – et  parfois allèle dans le modèle de Mendel.

« Le virus à muté pour devenir plus virulent » (cherchez les erreurs dans cette phrase)

SARS-CoV-2 évolue à mesure qu’il se propage et des mutations ont été observées explique Callaway, E. (2020). C’est sans parler des nombreuses qui se sont produites et n’ont pas pu être détectées car résultant en un virus non fonctionnel. Il y a donc de très nombreuses mutations dans tous les SARS-CoV-2 à travers le monde. Il faut noter qu’on parle de la fréquence des mutations observées et non de toutes les mutations qui se produisent plus ou moins au hasard dans toute la séquence

Cette disparition des mutations défavorables renforce une conception fréquente : que le virus ne muterait que dans le sens de devenir plus virulent (mieux adapté à son milieu…) . Et souvent on le décrit comme ayant des intentions mauvaises et engagé dans une guerre contre la science et la médecine. Ces explications finalistes font obstacle à une compréhension des mécanismes biologiques qui permet de prédire et expliquer ce qui se passe.

Des données sur LES mutations; disponibles en classe

Pour illustrer ou faire éprouver dans des activités pour les élèves ces affirmations, on dispose de données authentiques, actuelles et accessibles en classe.

A catalogue of coronavirus            mutations: graph showing the numbers of single nucleotide            coronavirus mutations.

Fig 2: Fréquence des mutations observées en fonction de la position dans la séquence [img]. Source : Sources: L. Van Dorp et al. (http://go.nature.com/3GSRNH6); Refs 2, 11, 12; B. E. Young et al. Lancet 396, 603–611 (2020)

Même si c’est relativement lent, le SARS-CoV-2 évolue à mesure qu’il se propage. La figure 2 montre la fréquence des mutations observées en fonction de la position dans la séquence : une mutation sort très visiblement  du lot : D614G dans le gène codant pour la protéine Spike, qui aide les particules virales à pénétrer dans les cellules.
Korber, B., et al (2020) ont comparé les innombrables séquences du virus disponibles et ont vu la mutation D614G apparaître de plus en plus fréquemment dans des échantillons de personnes atteintes de COVID-19. À la position 614e de la protéine Spike, l’acide aminé aspartate (D, en sténographie biochimique) était régulièrement remplacé par la glycine (G) en raison d’un défaut de copie qui modifiait un seul nucléotide dans le code ARN de 29903 bases du virus. Les virologues ont nommé la mutation D614G. (Callaway, E. 2020)Traduction

Une mutation change un peu la conformation de la protéine Spike par laquelle le virus s’accroche à nos cellules

Cette protéine Spike est celle par laquelle le virus  (cf. Jump-To-Science 29 Avril 2020) se fixe sur ACE2 à la surface de nos cellules.

Quel est le rôle normal de la protéine ACE2 ?

Les élèves ( ou leur enseignant.e) peuvent trouver des éléments de réponse ici :

Où  la protéine ACE2 est-elle exprimée dans le corps humain :

Les élèves ( ou leur enseignant.e) peuvent trouver eux-même des réponses ici :

Figure 5 : Degré d’expression pour ACE2 trouvé dans proteinatlas.org

Activité proposée par le SIB mettant en évidence le rôle de la protéine Spike et la manière dont elle interagit avec ACE2 : « Comment la bioinformatique peut soutenir la recherche »

Une mutation SARS-Cov2 comme exemple d’évolution en marche

An animation showing the subunits of the coronavirus                spike protein opening, and the position of the D614G                mutation.

Fig 3: cliquer pour voir les différentes conformations  «fermées» et «ouvertes» de la protéine Spike du virus SARS-CoV-2. Cette protéine  se lie aux récepteurs des cellules humaines et permet l’entrée du virus. Une mutation fréquente (D614G cercle) semble favoriser les conformations ouvertes de la protéine, ce qui pourrait signifier que le virus peut pénétrer plus facilement dans les cellules. [img]. Source Callaway, E. (2020).  Structural data from K. Shen & J. Luban

Une mutation qui donne aux virus qui la portent une plus grande infectiosité ?

Hou, Y. J. et al. (2020) ont analysé les effets de cette variante du gène Spike avec la mutation D614G.  Elle  semble favoriser les conformations ouvertes de la protéine Spike, et favoriserait la pénétration du virus peut pénétrer dans les cellules explique Callaway, E. (2020).
The mutation that loosens the            spike protein: graphic showing the sspike protein opening, and            the position of the D614G mutation

Fig 4: les variantes plus ouvertes de spike sont associées à une probabilité d‘infection plus  grande  [img]. Source : Callaway, E. (2020).

Voir et imprimer les formes différentes de la protéine Spike avec les élèves ?

La saturation du milieu augmente la sélection

Stephen J. Gould (1977) résumait le mécanisme de l’évolution en 2 faits et une conclusion inévitable  (ici)

  • 1. Les organismes varient au hasard : ces variations sont (au moins en partie), transmises à leur descendance.
  • 2. Les organismes produisent plus de descendants qu’il n’en pourra survivre cet endroit
  • 3 . En moyenne les descendants dont les variations sont favorisées par l’environnement survivent et prolifèrent. Les variations favorables s’accumulent par conséquent dans les populations par sélection naturelle.
    Gould, S. J. (1977)Traduction personnelle

Le point deux – qui met en évidence que c’est à cause de la saturation du milieu que la pression évolutive (la sélection) opère –  pourrait bien expliquer la reproduction favorisée des variants porteurs de D614G.

Global spread:                Graph showing the global rise of the D614G coronavirus                mutation.
Fig 5: commentaire [img]. Source :
Callaway, E. (2020).

De nombreux chercheurs soupçonnent que si une mutation a aidé le virus à se propager plus rapidement, elle s’était probablement produite plus tôt, lorsque le virus a sauté pour la première fois chez l’homme ou a acquis la capacité de se transférer efficacement d’une personne à une autre explique Callaway, E. (2020).
À un moment où presque tout le monde sur la planète est sensible, il y avait probablement peu de pression évolutive sur le virus pour mieux se propager, de sorte que même les mutations potentiellement bénéfiques (au virus) pourraient ne pas proliférer. «En ce qui concerne le virus, chaque personne atteinte est un morceau de choix», déclare William Hanage, épidémiologiste à la Harvard T. H. Chan School of Public Health de Boston, Massachusetts. « Il n’y a pas de meilleur choix »

C’est intéressant de noter le discours finaliste et anthropocentré fréquent de la part du monde médical : comme si le virus avait des intentions et choisissait le meilleur repas… Or de nombreuses recherche ont montré que ces conceptions font obstacle à la compréhension approfondie que la biologie développe : cf p. ex Coley, J. D., & Tanner, K. (2015). encourage le lecteur à aller vérifier dans l’article d’origine :  ici

Comme le montre bien Gould, les mécanismes de l’évolution expliquent bien ces données par la sélection qui apparait quand on approche de la saturation du milieu- ce qui arrive très vite avec les virus à la croissance exponentielle.
Il  est rare d’observer la situation inverse, où un nouvel organisme apparait dans un milieu qui ne le limite pas et où il n’y a que peu de sélection. On pourrait voir un parallèle avec l’explosion radiative vers le début du Cambrien où
(Gould, et al, 1993) dans le magnifique livre de la vie expliquent que la concentration d’Oxygène a rendu possible des parties dures et une diversité incroyable de formes d’organismes s’est multipliée presque sans concurrence pour un temps.

Voir aussi comment aider les élèves à contourner l’obstacle et les limites de ces explications naïves : (Potvin et al., 2015)
Voir aussi l’excellent ouvrage de Potvin, P. (2019) Faire apprendre les sciences et la technologie à l’école : Épistémologie, didactique, sciences cognitives et neurosciences au service de l’enseignant. Extraits intranet.pdf

Une formation continue :

La biologie numérique : des opportunités de mieux apprendre notamment pour des aspects difficiles pour les élèves 4 novembre Inscrivez-vous ici SEM-10708

(Les membres Jump-To-Science peuvent obtenir ces articles…).

Références:

  • Callaway, E. (2020). The coronavirus is mutating—Does it matter? Nature, 585(7824), 174‑177. https://doi.org/10.1038/d41586-020-02544-6
  • CIIP. (2011). Plan d’études Romand (Mathématiques et sciences de la nature). Conférence intercantonale de l’instruction publique de la Suisse Romande et du Tessin,.
  • Coley, J. D., & Tanner, K. (2015). Relations between Intuitive Biological Thinking and Biological Misconceptions in Biology Majors and Nonmajors. CBE-Life Sciences Education, 14(1), ar8. https://doi.org/10.1187/cbe.14-06-0094
  • Corum, J., & Zimmer, C. (2020, avril 3). Bad News Wrapped in Protein : Inside the Coronavirus Genome. The New York Times. https://www.nytimes.com/interactive/2020/04/03/science/coronavirus-genome-bad-news-wrapped-in-protein.html | intranet.pdf
  • Dobzhansky, T. (1973). Nothing in biology makes sense except in the light of evolution. American Biology Teacher, 35(3), 125‑129.
  • Gould, S. J. (1977). Ever since Darwin: Norton New York.
  • Gould, S. J. et al. (1993). Le livre de la vie. Seuil
  • Hou, Y. J. et al. (2020), SARS-CoV-2 D614G Variant Exhibits Enhanced Replication ex vivo and Earlier Transmission in vivo | bioRxiv (preprint).  https://doi.org/10.1101/2020.09.28.317685
  • Korber, B., Fischer, W., Gnanakaran, S., Yoon, H., Theiler, J., Abfalterer, W., Foley, B., Giorgi, E., Bhattacharya, T., Parker, M., Partridge, D., Evans, C., Freeman, T., de Silva, T., on behalf of the Sheffield COVID-19 Genomics Group, LaBranche, C., & Montefiori, D. (2020, avril 30). Spike mutation pipeline reveals the emergence of a more transmissible form of SARS-CoV-2. https://doi.org/10.1101/2020.04.29.069054
  • Potvin, P. (2019). Faire apprendre les sciences et la technologie à l’école : Épistémologie, didactique, sciences cognitives et neurosciences au service de l’enseignant. Presses de l’université Laval. Extraits intranet.pdf
  • Potvin, P., Sauriol, É., & Riopel, M. (2015). Experimental evidence of the superiority of the prevalence model of conceptual change over the classical models and repetition. J Res Sci Teach, 52(8), 1082‑1108. https://doi.org/10.1002/tea.21235
  • Young, B. E., Fong, S.-W., Chan, Y.-H., Mak, T.-M., Ang, L. W., Anderson, D. E., Lee, C. Y.-P., Amrun, S. N., Lee, B., Goh, Y. S., Su, Y. C. F., Wei, W. E., Kalimuddin, S., Chai, L. Y. A., Pada, S., Tan, S. Y., Sun, L., Parthasarathy, P., Chen, Y. Y. C., … Ng, L. F. P. (2020). Effects of a major deletion in the SARS-CoV-2 genome on the severity of infection and the inflammatory response : An observational cohort study. The Lancet, 396(10251), 603‑611. https://doi.org/10.1016/S0140-6736(20)31757-8
Mise à jour 12 X 20 : ajout d’une référence au document de M.-C. Blatter du SIB et à l’entrée Genbank
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