Supraconductivité et mouvement perpétuel

Résumé en français de l’article Supraconductivité et mouvement perpétuel [2] Par Prof. A. Mueller

1 Mouvement perpétuel ??

On a montré expérimentalement que des courants circulent dans des supraconducteurs sans alimentation électrique et sans atténuation détectable pour des durées qui sont estimées à plus de 100’000 ans [2, p44]. En fait, la théorie suggère que la circulation de ces courants durerait plus que l’âge de l’univers [3, p9; 8, p282]. Des courants qui circulent indéfiniment dans un supraconducteur, ressemblent bien au mouvement perpétuel ( t → ∞), à partir de rien, sans apport d’énergie, ni présence d’un potentiel ( U = 0). Qu’en est-il vraiment ? Pour commencer, distinguons 3 concepts :

Fig. 1: Une machine à mouvement perpétuel de Leonard de Vinci [4]

Mouvement perpétuel : Le mouvement perpétuel (de 1 er type) et celui d’une machine qui produit du travail sans apport d’énergie. La première loi de la thermodynamique l’interdit. Cependant de très nombreux inventeurs ont cru avoir conçu de telles machines, y inclus Léonard de Vinci, cf. Fig. 1. Une machine à mouvement perpétuel de 2 e type produirait une différence de température à partir d’un milieu homogène, en créant des différences de température sans apport d’énergie extérieure. La deuxième loi de la thermodynamique l’interdit également. Pour le 3 e type, qui vas nous intéresser le plus ici, v. en bas.

Mouvement uniforme : C’est un mouvement (décrit par un vecteur v ) avec vitesse et de direction constante. En fait, c’est le contenu même de la première loi de Newton, qui dit que s’il n’est pas soumis à une force, tout objet se déplace sur une trajectoire rectiligne et à vitesse constante : d v / dt = 0 si F = 0. Cela parait contre-intuitif, car une conception-obstacle très fréquente – et tenace – veut qu’une force doive s’exercer sur un mobile pour le maintenir en mouvement. Néanmoins, le mouvement uniforme n’est pas un mouvement perpétuel, interdit par la physique, mais au contraire un ses concepts fondateurs. On peut noter que la différence décisive est la production ou non de travail : le mouvement uniforme n’a rien de mystérieux, il est toujours présent en l’absence de force.

Mouvement sans frottement : C’est un type de mouvement où en particulier les forces de frottement (ou dissipatives) sont absentes. (Si d’autres forces sont absentes également, on a le mouvement uniforme juste traité.) Parfois, on parle dans ce cas d’une machine à mouvement perpétuel de 3 e type [5]. Evidemment il n’y a pas production d’énergie ici. Un tel mouvement ne contredirait pas des lois fondamentales de la physique, bien qu’il paraît impossible de réaliser techniquement. En astronomie, cependant, des tels mouvements existent, avec l’exemple classique des mouvements des planètes autour du soleil [Fig. 2].

2 La nature quantique du « mouvement » perpétuel dans les supraconducteurs

La supraconductivité paraît bien être une sorte de mouvement perpetuel des électrons. Mais elle ne produit pas de travail, ni de différences de température, elle ne contredit pas les lois de la thermodynamique. Elle pourrait être considérée comme un mouvement perpétuel du troisième type, sans friction ni dissipation, et la question devient alors : Comment les électrons se déplacent-ils sans dissipation ? Les principes du phénomène de la supraconductivité sont développés ailleurs en détails (cf. par exemple [articles 8 – 10]), nous allons discuter ici plutôt quelques aspects conceptuels et éducatifs.

2.1 La triple origine quantique du déplacement sans frottements des électrons :

Fig. 2: Le système solaire : une machine à mouvement perpétuel de 3ème type ? Notez le point d’interrogation : en relativité générale, de masses en mouvement orbitale (donc accélérées) rayonnent des ondes gravitationnelles, similairement à l’électrodynamique, où des charges accélérées rayonnent des ondes électromagnétiques (radiation de synchrotron). Bien que très petit, cet effet amène à un « amortissement par radiation gravitationnelle » du mouvement planétaire, qui donc n’est plus sans frottement. [7 figure 6]

L’origine de la supraconductivité ne peut être comprise que dans un cadre quantique, et nous allons l’élucider dans une série de trois questions. Ces interrogations montrent bien qu’assez souvent une question en physique ne peut être comprise que dans un cadre de connaissances préalables (dans l’histoire , et pour l’individu). C’est une considération importante dans la mise en place d’apprentissages en science.

A) On sait que dans des conducteurs normaux (métalliques) la cause principale de résistance électrique résulte des collisions des électrons avec les oscillations et imperfections du réseau atomique. Pourquoi ce phénomène ne se produit-il pas dans les supraconducteurs ? Dans un supraconducteur, une bande (« gap ») d’énergie interdite Δ E , de l’ordre de k B T c (où T c est la température de transition à la phase supraconductrice) sépare les électrons dans l’état supraconducteur de ceux au-dessus. C’est un phénomène similaire à ce qui se passe dans un semi-conducteur, mais avec une cause différente. En-dessous d’une énergie d’excitation donnée (dont l’origine peut par exemple être thermique), les électrons ne subissent pas des interactions avec le réseau atomique, conséquemment pas de dissipation [9, 126].

B) Deux électrons dans un atome – d’un métal par exemple – ne peuvent pas occuper le même état simultanément, à cause du principe d’exclusion de Pauli. Comment cela est-il possible dans les supraconducteurs ?

http://tecfa.unige.ch/perso/lombardf/projets/experimental/images/soft-membrane-model.jpg http://tecfa.unige.ch/perso/lombardf/projets/experimental/images/phonon-exchange.jpg
Fig. 3 Interactions médiée par le réseau conduisant à la formation d’une Cooper paire de Cooper gauche: le modèle simple balle et membrane [11]; droite: Diagramme de Feynman d’échange de phonons, un modèle plus complet [12]

Les porteurs de charges du courant supraconducteur ne sont pas des électrons individuels, mais des systèmes couplés de deux électrons appelés paires de Cooper. Les électrons couplés ont des spins opposés, ce qui a pour résultat un spin 0 pour la paire de Cooper. Ainsi la paire n’est pas un fermion (spin demi-entier), mais un boson (spin entier), pour lequel l’occupation multiple d’un état n’est pas interdite. Notamment si la température est assez basse, toutes les paires de Cooper s’installent dans l’état supraconducteur où elles sont « protégées de la dissipation » par la bande interdite. Étant donné le nombre de paires disponibles (0.1% des électrons dans l’état supra représentent quand même un nombre énorme [10, 119]), un courant supraconducteur macroscopique se produit.

C) La force de Coulomb crée une répulsion entre les électrons. Quelle est l’origine de la force d’attraction conduisant à l’état lié dans les paires de Cooper ? Cette attraction en électrons est médiée par le réseau atomique dans lequel ils se trouvent pris. Chaque électron modifie son environnement, ce qui attire un autre électron. Une modélisation simplifiée est illustrée à la figure 3 (à gauche) : Une bille lourde sur une membrane élastique crée une dépression (a), en haut), qui fait rouler une particule voisine et l’approche de la première (b), en bas); évidemment, cet effet est réciproque. Cette attraction assez faible médiée par le réseau est contrecarrée par la répulsion électrostatique qui est forte et l’équilibre (c’est-à-dire le taille de la paire de Cooper) s’établit à des distances assez élevées, de l’ordre de 0.1 – 1 µm [9, 118]. La faiblesse des interactions implique aussi une énergie de liaison faible que l’excitation thermique peut assez facilement défaire, ce qui explique que ces paires de Cooper et la supraconductivité ne se produisent qu’à des températures très basses. Bien que ce modèle rende bien compte comment une force d’attraction peut être médiée par l’environnement, et qu’il rend compréhensible aussi d’autres propriétés comme la taille élevée des paires de Cooper et leur sensibilité à la température, il est trop limité pour expliquer d’autres propriétés essentielles de la supraconductivité (p. ex. le fait que seuls deux électrons sont liés, ou le fait que c’est les oscillations du réseau cristallin atomique, et non une déformation statique qui causent l’interaction). C’est seulement le cadre conceptuel de la théorie des champs quantiques, avec le langage des diagrammes de Feynman (Fig. 3, à droite), qui permet de modéliser de manière plus complète ces phénomènes (cf. par exemple [7 – 9]).

2.2 Résumé : Si c’est supra, c’est quantique

En résumé, la supraconductivité est bien un mouvement sans frottement, qui a une triple origine quantique : (i) la bande interdite : la discontinuité des niveaux d’énergie est justement une caractéristique qui a donné son nom à la physique quantique, (ii) le comportement des bosons et fermions, lié à l’ indiscernabilité quantique des particules, (iii) l’existence d’une attraction par échange de phonons, liée la quantification des oscillations du réseau cristallin (et plus généralement aux champs quantiques). On pourrait ajouter que l’origine du spin demi-entier de l’électron est essentiellement quantique aussi, et conclure de manière imagée en disant que la supraconductivité est d’origine 3 ½ fois quantique.

En conclusion, c’est rassurant de voir que malgré tous les phénomènes insolites de la physique quantique, il y a des bases communes avec la physique classique qu’on enseigne à l’école:  un élément de culture scientifique et de la nature des sciences (« nature of science ») précieux qu’ on ne doit pas perdre sous la pression des constants changements curriculaires.

3 Sources

Vous voudriez en savoir plus ? Une version plus complète de cet article est disponible en  anglais ici [1]. Les autres sources sont indiquées ci-dessous et les articles peuvent être demandées par get-a-doi pour les inscrits dans Expériment@l.

1 Müller, A. (2011). Superconductivity and perpetual motion
article.pdf
2 Poole, C.P.: Handbook of Superconductivity (Academic Press, San Diego, 2000)
3 Fossheim, K., Sudbø: A., Superconductivity. Physics and Applications (Wiley, Chichester, 2004)
4 http://www.thetwentyfirstfloor.com/main/wp-content/uploads/2010/06/davinciperpetuo.jpg, acces 11-10-13
5 Tsaousis, D.: “Perpetual Motion Machines”, Journal of Engineering Science and Technology Review 1 (2008) 53-57
6 Wikimedia http://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/c/c2/Solar_sys.jpg; access 11-10-18
7 Taylor, E.F. Wheeler, J.A., Bertschinger, E.: Exploring Black Holes: Introduction to General Relativity (Addison-Wesley, New York, forthcoming); preprint: , access: 18-09-11
8 Triscone, J.M., Lichtensteiger, C. Morpurgo, A., van der Marel, D. : Cours “PHYSIQUE DU SOLIDE 1 – 3 (Université de Genève, Faculté des Sciences, 2011) , access 11-10-11
9 Kittel, C. : Introduction to superconductivity (McGraw-Hill , 2004)
10. Buckel, W. Kleiner, R.: Superconductivity: Fundamentals and Applications (Wiley-VCH Weinheim, 2004)
11. Demtröder, W. : Experimentalphysik. Band 2: Elektrizität und Optik (Springer, Heidelberg, 2008)
12. Wikimedia http://commons.wikimedia.org/wiki/File:Feynmandiagramm.png; access 11-10-18

Remerciements : L’auteur n’étant pas expert pour la supraconductivité, il exprime sa gratitude pour la relecture par et des nombreuses discussions avec Dr. Christophe Berthod (Dept. de la Physique de la Matière Condensée); Dr. O. Gaumer (Physiscope); Dr. L. Weiss (IUFE) et notamment François Lombard pour la traduction de la version anglaise.

Andreas Müller, Université de Genève; Faculté des Sciences/Section Physique et Institut Universitaire de la Formation des Enseignants


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7 réponses à Supraconductivité et mouvement perpétuel

  1. Andreas Mueller dit :

    12 octobre 2011 23:14:36
    Je me pose la question suivante: il y a le fameux « energy gap » (lacune d’énergie?): « The BCS ground state differs from the Fermi state in a region of width of the order of the energy gap ∆E » (Kittel, phys. du solide), et ∆E est, bien sûr, de l’ordre de l’énergie nécessaire pour briser une paire. Soit, mais pourquoi la paire ne se propage-t-elle pas dans le cristal, tout en interagissant avec les atomes (avec charge la double charge, en plus), et en subissant une friction par cela, sans être brisée?
    Dans un langage plus technique, le « BCS ground state » est celui de paire, est le « Fermi state » est celui d’un électron isolé; mais ce qui devrait m’intéresser est la transition entre l’état fondamental et les états excités de la paire, sans la briser. Mais alors, pourquoi pas de friction/dissipation pour la paire?
    Peut-être quelqu’un sait la réponse,
    well puzzled,
    Andreas Mueller Didactique des sciences IUFE

  2. Christophe Berthod DPMC UniGe dit :

    13.10.11 14:02
    C’est une question difficile. Il n’existe à ma connaissance aucune explication vulgarisée de ce phénomène de la supraconductivité qui ne soit pas, au fond, une escroquerie intellectuelle. Le noeud du problème est qu’il s’agit d’un phénomène quantique qui n’a pas d’équivalent classique. Donc pas moyen de trouver une analogie classique. Quelques points à préciser cependant. Dans un métal normal, la conduction électrique se fait effectivement par des électrons qui sont excités près de la surface de Fermi. Ces électrons subissent des collisions qui les freinent, ce qui fait que la conductivité n’est pas infinie mais finie. Il faut noter que les électrons ne sont pas freinés par les atomes du matériau si ceux-ci forment un réseau parfait (théorème de Bloch). Seuls comptent les défauts de ce réseau (lacunes, impuretés, dislocations), ses vibrations (phonons), ainsi que les autres électrons qui provoquent aussi des collisions. Dans l’état supraconducteur, il n’y a pas besoin d’exciter des paires pour avoir de la conduction. Au contraire, si une énergie assez grande pour exciter une paire est injectée, cette paire sera nécessairement brisée et va se comporter comme deux électrons « normaux », donc générer de la résistivité. C’est ce qui se passe lorsque la température devient plus grande que le gap (je ne connais pas de bonne traduction française pour le mot « gap »): les paires sont détruites et la supraconductivité disparaît. Donc, en fait, le gap protège les paires et empêche l’agitation thermique de les détruire. La conduction électrique dans l’état supraconducteur est un phénomène collectif qui implique tous les électrons dans une espèce de danse parfaitement cohérente. Au lieu d’avoir une multitude d’électrons plus ou moins indépendants les uns des autres, on a une grande onde cohérente qui, entre autres propriétés remarquables, possède celle de ne pas être sensible au défauts, lacunes, etc. L’état BCS, ou plus précisément la fonction d’onde BCS, est une bonne approximation de cette onde quantique qui décrit l’état, non pas d’une paire, mais de tous les électrons regroupés en paires.
    Le brouillard est-il un peu dissipé? Précisons qu’il ne peut pas l’être entièrement, justement parce que nous n’avons pas de bonne analogie classique. La supraconductivité est l’un de ces rares phénomènes qui propulsent l’étrangeté du monde quantique jusqu’à l’échelle macroscopique et met donc la bizarrerie des lois quantiques directement sous nos yeux!
    Christophe Berthod DPMC UniGe

  3. Andreas Mueller dit :

    Le 29 déc. 2011 à 17:40,
    Je reviens encore une fois pour une question « supra », déjà abordée dans l’échange précédent.
    Dans un commentaire à l’article, Christophe Berthod écrit : « in fact, a BCS superconductor is not a Bose-Einstein condensate of Cooper pairs: the Cooper pairs are not all in the same state. … »
    Or dans mes études, il y a 1 mio d’années, on m’avait appris ceci, p. ex. dans les Feynman Lectures, vol 3, ch. 21 (“a seminar on superconductivity”): « … electron pairs are bosons… » et « There’s no resistance because all electrons are collectively in the same state. » dans Feynman 3 21-8. Est-ce que c’est faux selon les théories d’aujourd’hui?
    Si Christophe Berthod avait envie (et le temps) de continuer cette petite discussion, ce serait très précieux pour moi et pour Expériment@l, comme cette vision des choses est probablement encore très répandue parmi les enseignants du secondaire II, et il vaudrait la peine d’éclaircir la question, avec le feedback d’un expert.
    Andreas Mueller, Didactique des sciences, IUFE

  4. Christophe Berthod DPMC UniGe dit :

    Le 03 janv. 2012 à 23 : 40, Christophe Berthod :
    Encore une question difficile… Les experts sont divisés sur ce point: voyons donc ce qu’ils disent. Josephson a avancé une idée similaire à celle évoquée par Feynman, mais avec plus de prudence : « In some ways a superconductor can be thought of as a Bose-Einstein condensation of Cooper pairs. » B. D. Josephson, Rev. Mod. Phys. 36, 216 (1964) [http://dx.doi.org/10.1103/RevModPhys.36.216].
    Dans ces deux textes, aucun détail ni aucune preuve ne sont avancées. Dans leur papier fondateur de la théorie BCS, les auteurs ne sont pas du même avis: « Our pairs are not localized in this sense, and our transition is not analogous to a Bose-Einstein condensation. » J. Bardeen, L. N. Cooper, and J. R. Schrieffer, Phys. Rev. 108, 1175 (1957), footnote 18 [ doi:10.1103/PhysRev.108.1175 ]. Dans cette phrase, « in this sense » fait référence à l’idée que les paires de Cooper sont beaucoup plus grandes que la distance moyenne entre elles. La taille d’une paire de Cooper, i.e. la distance entre les deux électrons qui forment la paire, est connue sous le nom de longueur de cohérence, et vaut typiquement quelques centaines de nanomètres dans les supraconducteurs conventionnels. La distance moyenne entre deux électrons dans ces matériaux est beaucoup plus petite, typiquement 1 Angström. Donc les paires de Cooper se recouvrent considérablement, et on ne peut pas les imaginer comme des paires d’électrons bien séparées les unes des autres, comme le seraient des molécules d’hydrogène dans l’état gazeux. La question se pose donc: est-il correct de considérer ces entités (les paires de Cooper) comme des bosons élémentaires? On peut tenter d’y répondre mathématiquement : des bosons sont décrits par des opérateurs qui satisfont certaines relations de commutation, ou, en langage moins technique, les bosons doivent satisfaire la statistique de Bose-Einstein. Or les paires de Cooper de la théorie BCS n’ont pas cette propriété, comme l’indique, par exemple, Schrieffer dans son discours Nobel: « The operators… being a product of two fermion creation … operators, do not satisfy Bose statistics… » lecture.pdf], page 102. Plus loin, l’argument physique est donné:
    « The essential point is that while a dilute gas of tightly bound pairs of electrons might behave like a Bose gas this is not the case when the mean spacing between pairs is very small compared to the size of a given pair. In this case the inner structure of the pair, i.e., the fact that it is made of fermions, is essential; it is this which distinguishes the pairing condensation, with its energy gap for single pair translation as well as dissociation, from the spectrum of a Bose condensate, in which the low energy excitations are Bose-like rather than Fermi-like as occurs in actual superconductors. » page 105.
    On voit bien le problème: si les paires étaient très petites, on pourrait les considérer comme élémentaires et les traiter comme des bosons. C’est ce qui se passe avec certains atomes. Si un atome contient un nombre pair de fermions, comme par exemple hélium 4, alors, pour tous les processus qui ne modifient pas sa structure interne, l’atome se comporte comme un boson élémentaire. Ceci explique la transition superfluide de hélium 4, très similaire à une condensation de Bose. Hélium 3, par contre, est un fermion et ne devient pas superfluide (sauf à beaucoup plus basse température, quand les atomes d’hélium 3 forment des paires…). Mais les électrons qui forment les paires dans un supraconducteur ne sont pas comme ceux qui vivent dans les couches atomiques de l’hélium: ces derniers sont bien localisés sur l’atome, alors que les premiers sont délocalisés dans le métal. Cette délocalisation des électrons de conduction, qui est typique des métaux, explique pourquoi les paires de Cooper sont si grandes: il coûterait beaucoup d’énergie de localiser ces électrons dans de toutes petites paires, allant contre la répulsion Coulombienne, beaucoup plus d’énergie que la faible attraction due aux phonons ne peut en fournir. On voit aussi que, si l’on pouvait faire varier la taille des paires en tournant un bouton, il serait possible de passer continûment de la limite de très petites paires qui se comportent comme des bosons, à la limite BCS de grandes paires qui ont un comportement différent.
    Comme je l’ai mentionné dans mon premier commentaire, la transition entre ces deux limites est un sujet de recherche à part entière, connu sous le nom de « BCS-BEC crossover ». Ce sujet a été ravivé récemment, car dans les systèmes d’atomes froids il est possible de changer la force de l’interaction en tournant un bouton, ce qu’on ne peut pas faire dans un métal conventionnel. Les atomes froids sont donc devenus le nouvel eldorado pour étudier le crossover BCS-BEC. Il suffit de googler « BCS-BEC crossover » pour s’en convaincre…
    Ce message est vraisemblablement trop compliqué pour être passé au niveau des élèves du secondaire II (mais probablement qu’il peut plaire aux profs de physique). Cependant, la notion d’échelle est très importante. La question de savoir si un objet composite (proton, noyau atomique, atome, molécule, paire de Cooper, cellule, corps humain, système solaire…) peut être modélisé comme un objet élémentaire dépend de l’échelle à laquelle on le regarde, de l’échelle d’énergie des processus auxquels on s’intéresse. C’est pour cette raison que les physiciens donnent souvent la réponse très agaçante: « cela dépend… »
    Christophe Berthod DPMC UniGe

  5. Andreas Mueller dit :

    Le 03 janv. 2012 à 23 : 41,
    Merci infiniment pour ces considérations très précieuses – pour la question plutôt didactique du départ aussi bien que pour ma propre compréhension!
    L’exemple prouve bien combien on arrive à des questions disciplinaires si on essaye de vraiment comprendre une explication didactique courante, en particulier s’il s’agit de la physique moderne…

    Effectivement l’échange entre chercheurs et des didacticiens, et les quelques heures que vous y avez consacrées se montrent comme absolument indispensables si on prend vraiment au sérieux un enseignement de la physique qui ne se détache pas du progrès dans la discipline. Merci donc encore une fois d’y participer,Andreas Mueller.

  6. Andreas Mueller / Christophe Berthod dit :

    Andreas Mueller IUFE UniGe dit
    « …après tes éclaircissements sur cette question, l’explication dans pour la science de décembrer 2009 tout simplement ne tient pas la route, et l’identité I état supra> = I état condensat BE est fausse (du moins pas vraie en général)?
    … tout cela quand-même dans le graal de la vulgarisation de haut niveau (Sci Am / Pour la Science)… » (ici)

    Christophe Berthod DPMC UniGe répond :
    « En effet. Ce ne sont ni les premiers ni les derniers à se casser les dents en tentant de vulgariser la supraconductivité. Si on regarde bien, leur approche consiste à éluder la vraie question (pourquoi la résistivité disparaît-elle?) en recourant à des mots savants (bosons, fluide quantique, condensat de Bose-Einstein). Une fois que les mots savants sont posés, il suffit d’affirmer qu' »un tel fluide … s’écoule … sans aucune résistance » et le tour est joué. Mais ceci n’est pas une explication: pourquoi un tel fluide s’écoule-t-il sans aucune résistance? Si le vulgarisateur utilise des mots savants, c’est qu’il n’a lui-même pas compris ce qu’il tente de vulgariser. Je pense que, si une idée ne peut pas être rendue intelligible au moyens de mots intelligibles, c’est qu’il n’y a pas d’idée. Aujourd’hui encore, à mon avis, il n’existe aucune idée intelligible pour expliquer la supra, de même qu’il n’existe aucune idée intelligible pour expliquer la mécanique quantique. »

    • Je suis tout a fait d’accord avec l’idée que jeter des mots savants cache souvent l’incapacité a réellement expliquer. Soit parce que c’est impossible d’expliquer à ce niveau de formulation-là, soit parce que le vulgarisateur n’a pas compris.
      Je suis en conséquence d’avis d’essayer d’amener les élèves / étudiants vers le complexe, plutôt que de tenter de simplifier le complexe

      « The greatest intellectual sin that we educators commit is to oversimplify most ideas that we teach in order to make them more easily transmissible to learners. In addition to removing ideas from their natural contexts for teaching, we also strip ideas of their contextual cues and information and distill the idea to their « simplest » form so that students will more readily learn them. But what are they learning? That knowledge is divorced from reality, and that the world is a reliable and simple place. But the world is not a reliable and simple place, and ideas rely on the contexts they occur in for meaning « Jonassen, D. H. (2003). Learning to Solve Problems with Technology: A Constructivist Perspective. Upper Saddle River NJ USA: Merrill Prentice Hall p.8

      Il y a quand même moyen d’aider les débutants à approcher les concepts complexes par exemple élémenter plutôt qu’abréger… on cherche à développer les concepts structurants, qui donnent du sens à un chapitre (la conservation de l’énergie ou la (es) loi(s) de Kirchoff par exemple) plutôt que donner sans la construire une métaphore ou de noyer le poisson sous des termes complexes.

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